La CAA de Versailles se prononce sur les conditions d’application de l’article 57 du CGI et de la qualification de distributions occultes en présence de dépenses engagées par une société française pour le compte de ses filiales étrangères et non refacturées. Elle confirme expressément que la réintégration spontanée des dépenses non refacturées peut, sous certaines conditions, éviter la qualification de distributions occultes et donc l’application de la retenue à la source.
L’histoire
Une société française a pris en charge des dépenses incombant à ses filiales étrangères, sans leur refacturer (exercices 2008 à 2011).
Elle a cependant réintégré spontanément ces dépenses dans la détermination de son résultat fiscal en mentionnant dans les tableaux annexés à sa déclaration 2058 A, les intitulés « frais supportés par le siège pour les filiales étrangères », « personnel détaché des filiales étrangères », « rémunération des dirigeants (de la filiale x) » et « prix de transfert ITEC ».
L’Administration a toutefois considéré que la prise en charge de ces dépenses était constitutive d’un transfert de bénéfices au sens de l’article 57 du CGI, matérialisant pour les sociétés étrangères bénéficiaires un avantage occulte au sens de l’article 111, c) du CGI, passible de la RAS prévue à l’article 119 bis (30 % à l’époque – 26,5 % en 2021), sous réserve de l’application des conventions fiscales le cas échéant.
La décision de la CAA de Versailles
Sur la dialectique de la preuve de l’article 57 du CGI
On sait que l’Administration bénéficie d’une présomption simple de transfert indirect de bénéfices à l’étranger lorsqu’elle établit l’existence d’un lien de dépendance de droit ou de fait entre l’entreprise française et des entreprises étrangères, ainsi que l’octroi d’avantages sous forme de majorations ou de minorations de prix, ou de tout autre moyen analogue (CGI, art. 57, Conseil d’État, 16 mars 2016, n°372372 Société Amycel et 7 novembre 2005, n°266436, Min. c/ Société Cap Gemini).
La CAA de Versailles précise qu’alors même que la non-déductibilité des charges réintégrées dans son résultat fiscal résulte des déclarations du contribuable, il incombe à l’Administration d’établir, pour assujettir à la retenue à la source les revenus réputés distribués correspondants :
- d’une part, l’existence d’échanges soit à des prix majorés, soit diminués par rapport à ceux pratiqués par les entreprises similaires dépourvues de lien de dépendance
- d’autre part, l’intention pour la société d’octroyer, et pour le cocontractant, de recevoir, une libéralité du fait de ces avantages
En premier lieu, la Cour souligne que les filiales étrangères bénéficiaires des avantages en nature en cause sont toutes majoritairement détenues par la société française requérante, ce qui suffit à faire présumer l’intention libérale, eu égard à la relation d’intérêts existant entre une société mère et ses filiales.
Elle relève, ensuite, que la société française a supporté des coûts incombant normalement à ses filiales étrangères (absence de refacturation et preuve notamment étayée par la réintégration spontanée des dépenses litigieuses par la société française).
La présomption de transfert de bénéfices à l’étranger de l’article 57 du CGI jouait donc bien en faveur de l’administration fiscale.
Les différents arguments avancés par la société française tendant à établir l’existence d’une contrepartie aux avantages accordés sont rejetés les uns après les autres par la Cour :
- Avantages justifiés par les besoins de recapitalisation de ses filiales :
- Nécessité de recapitalisation de filiales afin de respecter les ratios de solvabilité imposés par leurs États d’implantation respectifs : justification insuffisante (voir aussi CE, 13 décembre 2017, n°387975 et 387969 – pas de contrepartie à la refacturation d’une prestation rendue obligatoire par le droit étranger),
- Préservation de la situation financière de filiales en phase de démarrage de leur activité : éléments de preuve insuffisants (en sens inverse CAA Versailles, 20 octobre 2016, n°14VE01604, Sté ALD International SA),
- Intérêt à prendre en charge les surcoûts liés à la gestion du personnel expatrié,
- Prohibition par la réglementation algérienne de refacturer certains frais d’appartenance à un groupe : la CAA relève que même si les opérations ne figuraient pas sur la liste des opérations autorisées de plein droit, elles auraient pu l’être sur décision de la Banque Centrale d’Algérie.
Réintégration spontanée des dépenses non refacturées et qualification de distributions occultes
La société entendait écarter la qualification de distributions occultes au sens de l’article 111, c, en indiquant que les avantages litigieux étaient mentionnés de façon explicite dans les documents annexes au tableau 2058 A.
La CAA rappelle que l’inscription en comptabilité ne suffit pas à écarter une telle qualification, si elle ne révèle pas, par elle-même, la libéralité (CE, 28 février 2001, n°199295, Thérond, 7 septembre 2009, n°309786, Simon-Bigard).
Elle estime que tel n’était pas le cas pour les « frais supportés par le siège pour des filiales étrangères » et le coût du « personnel détaché dans les filiales étrangères », ainsi que pour les « prix de transfert ITEC », dès lors que les mentions portées aux tableaux des charges non déductibles ne précisaient ni la nature précise des avantages consentis, ni les sociétés bénéficiaires et ne révélaient ainsi pas par elles-mêmes, l’existence des libéralités octroyées.
En revanche, la Cour considère que la mention extra-comptable portée au tableau 2058 A de sa déclaration de résultat, de l’avantage consenti à l’une de ses filiales par la prise en charge de la rémunération de ses dirigeants, révèle tant l’objet de la dépense que son bénéficiaire. Aussi cet avantage ne pouvait être regardé comme un avantage occulte (confirmation de ce que suggérait l’arrêt de la CAA de Versailles du 20 octobre 2016, n°14VE01604, Sté ALD International SA).
Incidences des conventions fiscales applicables
On sait que lorsque la convention fiscale applicable ne permet pas l’assimilation des distributions occultes ou déguisées faites par des entreprises françaises à des dividendes, les sommes en cause doivent être traitées comme des revenus non dénommés (« autres revenus ») dont l’imposition est le plus souvent réservée à l’État de la résidence du bénéficiaire (article 21 de la convention modèle OCDE), de sorte qu’il n’y a alors pas de retenue à la source dans l’État de la société distributrice.
La CAA se livre dès lors à l’analyse des stipulations relatives aux dividendes des conventions applicables en l’espèce :
- Conventions conclues avec l’ex-URSS (restée applicable pour la Géorgie jusqu’en 2007 et jusqu’en 2012 pour la Moldavie), la Mauritanie, le Bénin et le Burkina-Faso : rédaction étroite ne permettant pas l’assimilation des revenus réputés distribués à des dividendes, donc pas de retenue à la source française
- Convention franco-chinoise : rédaction large permettant une telle assimilation : application de la retenue à la source française
Précisons qu’un pourvoi a été formé contre ces décisions, et est en cours d’instruction par le Conseil d’État.
- CAA Versailles, 9 février 2021, n°18VE04115-19VE00405, Société Générale