Revenus réputés distribués et notion de maître de l’affaire : Nouvelles précisions jurisprudentielles

Le Conseil d’État apporte de nouvelles précisions sur le maniement de la notion de « maître de l’affaire » pour l’application des dispositions de l’article 109-1, 1° et 2° du CGI relatives aux revenus réputés distribués.

Il juge que les articles 109-1, 1° (répartitions de bénéfices) et 109-1, 2° (répartitions non prélevées sur les bénéfices) ont des champs d’application bien distincts et qu’en conséquence, selon la base légale sur laquelle elle choisit de fonder son redressement, l’Administration ne saurait faire jouer de la même manière la théorie dite du « maître de l’affaire ».

Articles 109-1, 1° et 109-1,2° du CGI : des champs d’application bien distincts

Pour mémoire, les produits des actions et parts sociales émises par les sociétés françaises relevant de l’IS comprennent non seulement les distributions consécutives aux décisions des associés statuant sur les résultats de la société, mais encore toutes les appréhensions de profits sociaux qui peuvent se dissimuler sous des apparences diverses.

L’article 109-1, 1° du CGI pose une présomption légale de distribution à l’égard de tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital. Pour l’application de ces dispositions, les bénéfices s’entendent de ceux qui ont été retenus pour l’assiette de l’IS, notamment après application, le cas échéant, des redressements qui ont pu être apportés à la suite d’une vérification aux bénéfices déclarés (CGI, art. 110, al. 1).

Cette présomption légale, de portée générale, s’applique :

  • uniquement aux résultats bénéficiaires de l’exercice (notamment, CE, 6 décembre 1965, n°47850 et n°54363) ; autrement dit, elle ne peut être mise en œuvre en cas d’exercice déficitaire.
  • indépendamment de la qualité du bénéficiaire (notamment, CE, 19 avril 1982, n°24989)
  • lorsque ces sommes sont effectivement désinvesties de l’entreprise (notamment, CE plénière, 5 décembre 1984, n°46962, Mme Etienvre).

Par ailleurs, conformément au principe de l’indépendance des procédures, la présomption légale de distribution est opposable à la société mais non à ses associés. Ainsi, en cas de contestation par le bénéficiaire présumé des distributions, l’Administration supporte la charge de la preuve de l’appréhension par l’intéressé des revenus distribués.

Cela étant, la théorie du maître de l’affaire permet à l’Administration de présumer que ce dernier est le bénéficiaire des revenus réputés distribués (notamment, CE, 30 décembre 2011, n°332088). Cette notion jurisprudentielle conduit à rechercher si une personne est à même de disposer sans contre-pouvoir des biens de la société, comme s’il s’agissait de ses biens propres.

Une seconde catégorie de distributions officieuses est visée par l’article 109-1, 2° du CGI, qui répute distribué l’ensemble des sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, bénéficiaires ou porteurs de parts et non prélevé sur les bénéfices.

Contrairement aux dispositions du 1° du même article, ces distributions visent donc exclusivement les associés, bénéficiaires ou porteurs de parts.

En outre, elles sont susceptibles d’être mises en œuvre en cas d’exercice déficitaire, à charge pour l’Administration de prouver que les valeurs qu’elle prétend distribuées ont effectivement été appréhendées par les associés (CE, 2 février 1977, n°85633, voir aussi BOI-RPPM-RCM-10-20-10-20120912, n°330).

La théorie du « maître de l’affaire » ne joue pas dans les mêmes conditions selon la base légale retenue par l’Administration

Le Conseil d’État vient clarifier les conditions d’application de l’article 109, 1, 2° en pareille hypothèse (1re espèce, CE, 29 juin 2020, n°433827).

Il confirme qu’en l’absence de résultat taxable bénéficiaire à l’issue du redressement, le rehaussement des résultats d’une société ne saurait, par lui-même, révéler l’existence de bénéfices ou produits non mis en réserve ou incorporés au capital, taxables entre les mains de leur bénéficiaire comme revenus distribués ; si l’Administration entend les imposer sur le fondement de l’article 109 1, 2°, alors il lui incombe d’établir qu’ils ont été mis à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts.

Le Conseil d’État juge ensuite, de manière nous semble-t-il inédite, que le fait que le contribuable se trouve par ailleurs être le maître de l’affaire est, à cet égard, sans incidence.

Autrement dit, pour l’application des dispositions de l’article 109-1, 2°, la qualité de maître de l’affaire ne permet pas de présumer que ce dernier a effectivement appréhendé les revenus (contra : CE, 20 octobre 1982 n°23942).

À l’inverse, si l’Administration fonde son redressement sur l’article 109-1,1° du CGI, alors elle peut recourir à la théorie du « maître de l’affaire ».

Dans la seconde espèce (CE, 29 juin 2020, n°432815), le Conseil d’État juge que doit être regardé comme le seul maître de l’affaire le contribuable qui dispose du pouvoir d’engager juridiquement la société à l’égard des tiers et détient seul la signature du compte bancaire ouvert par ladite société, et est en mesure d’opérer des retraits en espèce depuis ce compte.

Dès lors, l’Administration doit être regardée comme apportant la preuve que le contribuable est bien le bénéficiaire des revenus réputés distribués par la société, peu important à cet égard qu’il n’aurait pas effectivement appréhendé les sommes correspondantes ou qu’elles auraient été versées à des tiers.

Photo de Alice de Massiac
Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

Photo de Clara Maignan
Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.