Le Conseil d’État substitue à la pénalité pour manœuvres frauduleuses de 80 % celle de 40 % applicable en cas de manquement délibéré en raison de l’absence de participation personnelle du contribuable, associé minoritaire et salariée de la société vérifié, aux agissements frauduleux.
Rappel
Aux termes de l’article 1729 du CGI, lorsque le caractère délibéré de l’infraction est établi, celle-ci entraîne l’application d’une majoration de 40 % qui peut être portée à 80 % en cas de manœuvres frauduleuses, abus de droit ou de dissimulation d’une partie du prix stipulé dans un contrat.
En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable, la preuve de la mauvaise foi et des manœuvres frauduleuses incombe à l’Administration (LPF, art. L. 195 A).
Le Conseil d’État, juge de cassation, ne se prononce pas sur les faits relevés par les juges du fond mais sur la qualification juridique des infractions retenue pour l’application des pénalités et ainsi vérifie l’application des critères permettant d’établir l’absence de bonne foi ou l’existence de manœuvres frauduleuses (CE, 3 mai 1993, n°116269, Cohen, pour la mauvaise foi et CE, 6 février 1991, n°117594, Monnot, pour les manœuvresfrauduleuses).
Par ailleurs, la substitution de base légale des pénalités peut être opérée d’office par le juge de l’impôt, même si l’Administration ne l’a pas demandée, s’il estime que le contribuable ne s’est pas rendu coupable de manœuvres frauduleuses mais a cependant fait preuve de mauvaise foi. Dans ce cas, il substitue le taux de 40 % prévu en cas de manquement délibéré à celui de 80 % prévu en cas de manœuvres frauduleuses (CE, 9 mars 2012 n°330761, Sté Access cars ; CE, 9 mars 2012, n°330760, Sté Rebmeister Automobiles).
Le Conseil d’État a par ailleurs précisé que constituent des manœuvres frauduleuses « les agissements de nature à égarer ou à restreindre le pouvoir de contrôle de l’administration » (dans le même sens CE, 3 mai 1995, n°77174 ; CE, 30 décembre 2015, Min. c. Sté Opportunités Finances, n°377855).
L’histoire
Un contribuable, associé et salarié d’une société qui exploite une boulangerie-pâtisserie, a fait l’objet d’un ESFP au titre des années 2012 à 2014, à l’issue duquel l’Administration a rehaussé son revenu imposable au titre des revenus de capitaux mobiliers. Ce redressement, de revenus réputés distribués, faisait écho à une minoration de recettes constatée dans le cadre de la vérification de comptabilité de la société dont le contribuable était associé.
L’Administration a assorti le redressement des pénalités de 80 % pour manœuvres frauduleuses, estimant que le contribuable, en sa qualité d’associé et de responsable de la caisse et de la gestion du personnel de la boulangerie, ne pouvait ignorer la mise en place d’un système de fraude consistant en l’effacement des données des caisses enregistreuses de plusieurs boulangeries. Ce schéma de fraude permettait ainsi aux boulangeries de rémunérer les salariés en espèces.
Dans ce contexte, les juridictions du fond ont donc été amenées à se prononcer sur la question de savoir si le système frauduleux mis en place au niveau de la société, qui a bénéficié au dirigeant, à l’associé ou au salarié permet à l’Administration de lui infliger la majoration de 80 % pour manœuvres frauduleuses.
La CAA de Marseille a confirmé les pénalités pour manœuvres frauduleuses ainsi appliquées par l’Administration.
La décision
En revanche, le Conseil d’État écarte l’application les pénalités de 80 % pour manœuvres frauduleuses au motif qu’aucun agissement destiné à égarer l’Administration dans l’exercice de son contrôle et personnellement imputable au contribuable n’a été relevé.
En d’autres termes, comme le souligne les conclusions du rapporteur public sous la décision « La cour ne pouvait se fonder sur sa seule connaissance du système frauduleux sans mettre en évidence son rôle actif dans celui-ci, qui ne pouvait se déduire de ses seules fonctions. Le principe de personnalité des peines s’applique aux pénalités fiscales (CE, 4 décembre 2009, Société Rueil Sports venant aux droits et obligations de la société Sidonie, n° 329173, Rec.) et le contribuable ne peut donc être sanctionné à raison seulement du manquement commis par la personne morale à laquelle il est lié. »
Par suite, jugeant l’affaire au fond, le Conseil d’État substitue d’office les pénalités pour manquement délibéré de 40 % à celles de 80 % applicables en cas de manœuvres frauduleuses en considération des éléments suivants :
- Le contribuable n’intervenait ni dans l’établissement des fiches de paie ni dans la distribution d’enveloppes contenant les rémunérations en espèces des salariés qui étaient effectuées par d’autres personnes (en ce sens l’Administration ne démontrait pas l’existence de manœuvres frauduleuses qui lui seraient imputables) ;
- Cependant, il ne pouvait pas ignorer les manœuvres frauduleuses mises en place au sein de la société (intention délibérée du contribuable d’éluder l’impôt).