Le Conseil d’État juge que peut être admis comme mode de preuve la comparaison d’un emprunt bancaire assorti d’un taux variable avec un emprunt intragroupe à taux fixe, subordonné au premier, les deux emprunts étant d’une durée différente, moyennant des ajustements pour tenir compte de la différence de structure et de durée des emprunts ainsi que du caractère subordonné du prêt intragroupe, pour autant que ces ajustements soient suffisamment fiables et documentés.
Rappel
Une société peut déduire les intérêts relatifs à des sommes mises à sa disposition par une entreprise liée au-delà de la limite du taux fixé par l’article 39, 1.3° du CGI dans le cadre d’avances consenties par ses associés, dès lors qu’elle est en mesure de démontrer que ces intérêts sont déterminés par application d’un « taux de marché » que l’entreprise emprunteuse aurait pu obtenir d’établissements financiers indépendants dans des conditions analogues (CGI, art. 212, I-a).
Pendant de nombreuses années, l’Administration, comme les juridictions du fond, se sont montrées particulièrement exigeantes dans la démonstration du taux de marché applicable.
Dans un avis du 10 juillet 2019, le Conseil d’État a posé le principe de liberté de preuve et admis qu’une société pouvait, le cas échéant, s’appuyer sur des comparables issus du marché obligataire (avis n°429426 et 429428, SAS Wheelabrator).
L’histoire
La société WB Ambassador, détenue à 100 % par une société luxembourgeoise, a acquis, le 31 octobre 2008, l’intégralité des titres d’une société française auprès d’un tiers.
Pour financer cette acquisition, la société a contracté plusieurs emprunts, auprès de banques ainsi qu’auprès de sa mère luxembourgeoise, ce dernier étant rémunéré au taux de 7 %.
L’Administration a considéré que ce taux de 7 % était supérieur à la limite prévue à l’article 212, I du CGI, et a réintégré la fraction excédentaire des intérêts aux résultats de la société emprunteuse.
Un premier contentieux s’est d’abord formé autour de l’exclusion radicale de tout référentiel de rendement obligataire par l’Administration, puis par les juges du fond, avant que le Conseil d’État, tirant les conséquences de l’avis SAS Wheelabrator, rendu entretemps, n’annule pour erreur de droit la décision des juges d’appel (CE, 10 décembre 2020, n°428522, Sté WB Ambassador).
L’affaire a donc été renvoyée devant la CAA de Paris, qui a procédé à un examen approfondi des comparables produits par la société.
La décision de la CAA de Paris
Pour justifier que le taux de 7 % rémunérant le prêt consenti par sa mère luxembourgeoise était le même que celui qu’elle aurait pu obtenir d’établissements ou d’organismes financiers indépendants dans des conditions analogues, la société WB Ambassador a produit une étude réalisée par un cabinet internationalement reconnu d’audit et de conseil.
Cette étude utilisait comme terme de comparaison le financement obtenu auprès des banques pour financer l’acquisition, à savoir un prêt à taux variable d’une durée de 5 ans.
Afin de déterminer le profil de risque financier de l’emprunt souscrit auprès de sa mère luxembourgeoise, l’étude a ensuite converti le taux variable en euros du prêt bancaire en un taux fixe en dollars et a eu recours à la base de données Bloomberg pour analyser les opérations de financement réalisées à des dates contemporaines sur la base d’un prêt d’une durée de 5 ans.
Les courbes de taux issues de cette base de données n’incluant pas de faculté de remboursement anticipé ni l’existence de convention de subordination, l’étude a ajusté les précédents calculs ainsi que par référence au marché des transactions obligataires.
Après prise en compte de tous ces éléments, la société a ainsi déterminé un taux d’intérêt de pleine concurrence qui aurait été demandé par un établissement financier pour un financement aux termes équivalents de 6,95 %, correspondant au coût d’un financement pour un emprunt à taux fixe d’une durée de 5 ans, majoré de la prime de risque liée à la subordination du prêt au prêt bancaire et de la rémunération complémentaire liée à la durée supplémentaire de deux années.
La Cour valide les comparables ainsi retenus par la société et juge :
- Qu’est sans égard sur leur pertinence la circonstance que les éléments présentés n’ont pas été établis à l’occasion de la conclusion du prêt auprès de la société luxembourgeoise ;
- Que peut être admis comme mode de preuve la comparaison d’un emprunt bancaire assorti d’un taux variable avec un emprunt intragroupe à taux fixe, subordonné au premier, les deux emprunts étant d’une durée différente, moyennant des ajustements pour tenir compte de la différence de structure et de durée des emprunts ainsi que du caractère subordonné du prêt intragroupe, pour autant que ces ajustements soient suffisamment fiables et documentés.