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Théorie du maître de l’affaire : nouvelle illustration jurisprudentielle

La CAA de Douai rappelle les modalités de mise en œuvre de la théorie du maître de l’affaire, permettant à l’Administration de faire jouer la présomption d’appréhension des bénéfices réputés distribués par l’intéressé.

Rappel

La théorie du « maître de l’affaire » permet à l’Administration d’être regardée comme ayant apporté la preuve de l’appréhension de revenus réputés distribués par la personne dont elle établit qu’elle est, dans la société dont les revenus ont été regardés comme distribués, le seul maître de l’affaire (notamment, CE, 30 décembre 2011, n°332088). Cette notion jurisprudentielle conduit à rechercher si une personne est à même de disposer, sans contre-pouvoir, des biens de la société comme s’il s’agissait de ses biens propres.

L’Administration peut recourir à cette présomption du « maître de l’affaire » lorsqu’elle fonde son redressement sur les dispositions de l’article 109-1, 1° du CGI (présomption légale de distribution à l’égard de tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital) ou sur les dispositions de l’article 111, c du CGI (rémunérations et distributions occultes, voir notamment CE, 13 juin 2016, n°391240).

Il appartient alors au contribuable de contester les éléments de preuve apportés par l’Administration pour caractériser la qualité de maître de l’affaire.

En revanche, pour l’application des dispositions de l’article 109-1, 2° du CGI (qui réputent distribuées l’ensemble des sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, bénéficiaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices), la qualité de maître de l’affaire ne permet pas de présumer que ce dernier a effectivement appréhendé les revenus (CE, 29 juin 2020, n°433827 et 432815).

L’histoire

Une société a fait l’objet d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices 2014 et 2015, à l’issue de laquelle l’Administration a notamment mis en évidence des prélèvements en comptes courants non justifiés, des minorations de recettes, ainsi que des déductions injustifiées de dépenses en tant que charges.

L’Administration a, de plus, considéré que certaines de ces sommes devaient être regardées comme constituant des revenus distribués pour son gérant, lequel a fait l’objet d’un ESFP au titre de la même période.

Elle a entendu faire jouer la présomption du maître de l’affaire, en prenant le soin de fonder son redressement sur 2 bases légales distinctes :

  • Imposition des prélèvements injustifiés sur les comptes courants d’associés ayant donné lieu à des règlements par chèques bancaires émis à l’ordre du gérant sur le fondement de l’article 111, c du CGI (rémunérations ou avantages occultes) ;
  • Sommes correspondant aux minorations de recettes et aux déductions injustifiées sur le fondement de l’article 109-1, 1° du CGI (correspondant au rehaussement des bénéfices imposables déclarés par la société vérifiée au titre des exercices considérés).

Le contribuable a contesté le redressement devant les juridictions.

La décision de la CAA de Douai

La Cour relève que, pour établir la qualité de maître de l’affaire du contribuable, l’Administration avait – en ligne avec la jurisprudence – procédé par faisceau d’indices, en se fondant sur les éléments suivants :

  • Le contribuable était, au titre des années en litige, le gérant de droit de la société ;
  • Il prenait effectivement part à sa gestion administrative et comptable ;
  • Il était l’interlocuteur de la société à l’égard des tiers ;
  • Il était le signataire de l’ensemble des correspondances émises par la société ;
  • Il détenait seul le pouvoir d’engager financièrement la société (à cet égard, l’Administration avait fait jouer son droit de communication auprès des établissements détenteurs des comptes bancaires de la société).

Pour combattre la pertinence de ces indices, le contribuable faisait valoir qu’au cours des années litigieuses, il n’était plus au nombre des associés de la société contrôlée et qu’en tant que gérant, il ne pouvait prendre des décisions concernant la gestion de celle-ci que sous le contrôle de ses associés, de sorte qu’il ne pouvait être regardé comme ayant été en mesure d’user sans contrôle des biens de la société.

La Cour écarte toutefois ces arguments, considérant que le contribuable n’a pas établi que les associés de la société contrôlée auraient pris une part active à la gestion de celle-ci. Elle souligne, notamment, que l’importance des prélèvements effectués sur des comptes courants d’associés, au bénéfice du requérant, mais aussi de tiers, permet de relativiser l’effectivité du contrôle que les associés sont réputés avoir opéré au cours des années litigieuses.

Aussi, la Cour en conclut que le contribuable n’apporte pas d’éléments permettant d’établir qu’il ne serait pas le maître de l’affaire, de sorte que la présomption d’appréhension des revenus joue au bénéfice de l’Administration.

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    Alice de Massiac

    Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à…

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    Clara Maignan

    Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique…