RAS sur dividendes perçus par une société déficitaire établie dans un Etat tiers à l’UE : transmission d’une QPC au Conseil constitutionnel

Le Conseil d’Etat vient d’adresser au Conseil constitutionnel une QPC portant sur la conformité au principe d’égalité devant la loi (art. 6 de la DDHC) des dispositions de l’article 119 bis, 2 du CGI, en ce qu’elles instaurent une discrimination au détriment des seules sociétés déficitaires percevant des revenus distribués de source française qui sont établies en dehors de l’Union européenne, lorsque les participations de la société distributrice ont le caractère d’un investissement direct.

Rappel

En principe, les dividendes de source française versés à des non-résidents sont soumis à une RAS de droit interne (25 % à compter du 1er janvier 2022). Ce taux peut néanmoins être réduit par le jeu d’une convention fiscale internationale.

La CJUE a cependant jugé en 2018 que cette retenue à la source était incompatible avec la liberté de circulation des capitaux dans l’hypothèse où l’actionnaire étranger est en situation déficitaire. En effet, dans cette hypothèse, une société étrangère qui acquitte une retenue à la source au taux conventionnel sur les dividendes qu’elle reçoit de sociétés françaises et dans lesquelles elle détient une participation inférieure à 5 % subit un désavantage de trésorerie par rapport à une société déficitaire française (aff. C-575/17, 22 novembre 2018, Sociétés Sofina, Rebelco et Sidro SA).

En conséquence, le législateur a par la suite introduit un mécanisme de restitution temporaire de RAS en faveur des non-résidents se trouvant en situation déficitaire (LF 2020 art. 42, article 235 quater du CGI – dispositif commenté par l’Administration au BOFiP le 29 juin 2022).

Sont concernées les sociétés résidentes d’un Etat membre de l’UE ou de l’EEE, mais aussi les sociétés situées dans un Etat tiers à la double condition pour ces dernières  que :

  • la société soit située dans un Etat ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales ainsi qu’une convention d’assistance administrative en matière de recouvrement et n’étant pas non-coopératif.
  • la participation détenue dans la société ou l’organisme distributeur ne permette pas au bénéficiaire de participer de manière effective à la gestion ou au contrôle de cette société ou organisme.

S’agissant de cette dernière condition, le législateur a fait application de la réserve posée par le Conseil d’Etat dans l’arrêt « Sté Findim Investments ».

Le Conseil d’Etat avait, à cette occasion, jugé que la retenue à la source de l’article 119 bis, en ce qu’elle s’applique aux distributions versées aux sociétés mères établies dans un Etat tiers à l’Union européenne, sans possibilité d’exonération, constitue certes une restriction à la liberté de circulation des capitaux, mais qu’une telle restriction est toutefois couverte par la clause de gel du TFUE, dès lors que la participation en cause constitue un investissement direct et que les dispositions de l’article 119 bis, 2 sont antérieures au 31 décembre 1993  (CE, 30 septembre 2019, n°418080).

A cet égard, est considérée comme un investissement direct une participation permettant de participer effectivement à la gestion ou au contrôle de la société.

Rappelons que la CJUE avait pu juger qu’une législation ne concernant que des participations inférieures à 10 % du capital de la société distributrice doit être considérée comme ne relevant pas du champ d’application de la clause de gel (CJUE, 10 février 2011, aff. 436/08 et 437/08, Haribo Lakritzen Hans Riegel BetriebsgmbH et Ostereichische Salinen AG, § 137). Au cas d’espèce, le Conseil d’Etat avait toutefois considéré qu’une participation de 8 % devait être regardée comme un investissement direct.

La demande de QPC formulée

Une société a contesté les dispositions de l’article 119 bis, 2 du CGI en ce qu’elles emporteraient un effet discriminatoire entre les sociétés déficitaires résidentes d’un Etat tiers à l’UE en fonction de l’implication ou non d’un investissement direct.

La CAA de Versailles a toutefois écarté l’argument, et jugé que la situation des sociétés résidentes d’Etats tiers dont les participations présentent le caractère d’investissements directs, couverts par la clause de gel, n’est pas comparable à celle des sociétés résidentes d’Etats membres de l’UE et d’Etats tiers dont les participations n’ont pas ce caractère, pour lesquelles la clause de gel ne s’applique pas (CAA Versailles, 22 Juin 2021, n°19VE03151, S Compagnie Gervais Danone).

La décision du Conseil d’Etat

Le Conseil d’Etat retient une analyse bien différente, et juge que les dispositions de l’article 119 bis, 2 du CGI portent atteinte au principe d’égalité devant la loi garanti par l’article 6 de la DDHC, en ce que :

  • dès l’origine, elles ont instauré une différence de traitement injustifiée entre les sociétés déficitaires percevant des revenus de source française selon qu’elles sont établies en France ou à l’étranger, dès lors que les premières ne sont pas imposées en France au titre des revenus qu’elles perçoivent au cours de l’exercice concerné ;
  • depuis leur mise en conformité par le juge de l’impôt avec le droit de l’Union européenne, elles instaurent une discrimination au détriment des seules sociétés déficitaires percevant des revenus distribués de source française qui sont établies en dehors de l’Union européenne lorsque les participations de la société distributrice ont le caractère d’un investissement direct, en vertu de la clause de gel prévue par l’article 64 du TFUE.

Il renvoie donc une QPC au Conseil constitutionnel, qui disposera de 3 mois pour se prononcer (au plus tard le 13 octobre 2023).

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.