Exonération de RAS de l’article 119 ter : appréciation de la condition tenant à la qualité de bénéficiaire effectif des distributions

La CAA de Versailles vient de rendre une décision favorable, relative à la qualification de bénéficiaire effectif pour la mise en œuvre de l’exonération de retenue à la source sur dividendes prévue par l’article 119 ter du CGI.

Rappel

Par application de l’article 119 ter du CGI, les dividendes distribués par une société française à une société mère ayant son siège dans l’UE ou l’EEE sont, sous certaines conditions, exonérés de RAS. Il faut notamment que la société récipiendaire des distributions puisse justifier qu’elle est bien le bénéficiaire effectif des dividendes.

Depuis 2016, une clause anti-abus spécifique prévoit que l’exonération de RAS ne s’applique pas à un montage ou à une série de montages qui, ayant été mis en place pour obtenir, à titre d’objectif principal ou au titre d’un des objectifs principaux, un avantage fiscal allant à l’encontre de l’objet ou de la finalité de l’article 119 ter et n’est pas authentique compte tenu de l’ensemble des faits et circonstances pertinents. Il est, de surcroît, précisé qu’un « montage ou une série de montages est considéré comme non authentique dans la mesure où ce montage ou cette série de montages n’est pas mis en place pour des motifs commerciaux valables qui reflètent la réalité économique » (CGI, art. 119 ter 3, tel que modifié par l’article 29 de la LFR 2015 procédant à la transposition de la clause anti-abus générale prévue par la Directive 2015/121/UE).

Avant 2016, l’ancienne clause anti-abus de l’article 119 ter prévoyait qu’étaient exclus du bénéfice de l’exonération de RAS, les dividendes distribués à une société mère européenne, qui, bien que bénéficiaire effectif, était contrôlée directement ou indirectement par un ou plusieurs résidents d’États non-membres de l’UE – sauf si la société bénéficiaire justifiait que la chaîne de participations n’avait pas comme objet principal ou comme un de ses objets principaux de tirer avantage de l’exonération (rédaction jugée non conforme à la directive mère-fille et à la liberté d’établissement, aff. C-6/16, du 7 septembre 2017, Eqiom SAS, anciennement Holcim France SAS, Enka SA).

L’histoire

En 2013, une société luxembourgeoise acquiert auprès d’une société suisse (a priori non liée), la totalité des titres d’une société française.

En 2014, la société française a versé à sa mère luxembourgeoise des dividendes et a entendu bénéficier de l’exonération de retenue à la source prévue par l’article 119 ter du CGI.

L’Administration a remis en cause le bénéfice de l’exonération de RAS, non pas sur le fondement de l’ancienne clause anti-abus de l’article 119 ter, mais au motif que la société luxembourgeoise n’était pas le bénéficiaire effectif des distributions litigieuses.

Elle estimait que c’était la société suisse qui en était le bénéficiaire effectif, la société luxembourgeoise étant simplement interposée, en se fondant sur les éléments suivants :

  • L’acquisition des titres de la société française par la société luxembourgeoise auprès de la société suisse en 2013 avait été financée au moyen d’un crédit vendeur payable sur 5 ans 
  • Le remboursement de ce crédit vendeur avait été assuré par les dividendes reçus de la société française (reversement intégral des montants correspondants), ainsi que par des managements fees facturés à cette même société par la société luxembourgeoise.

L’Administration contestait, en outre, la résidence fiscale de la société luxembourgeoise.

La décision de la CAA de Versailles

La Cour écarte l’ensemble des arguments avancés par l’Administration pour contester la qualité de bénéficiaire effectif de la société luxembourgeoise, et juge que sont sans incidence les circonstances que :

  • la société suisse avait été créée peu de temps avant l’acquisition des titres de la société française ;
  • la société suisse n’avait perçu aucun dividende de la société française pendant les 5 années où elle avait été son actionnaire (2008 à 2013) ;
  • la société suisse avait réalisé, à l’occasion de la cession des titres de la société française à la société luxembourgeoise, une plus-value quasiment égale au prix de vente ;
  • la société luxembourgeoise ne disposait pas des fonds nécessaires à l’acquisition des titres de la société française et avait bénéficié d’un crédit vendeur sur la totalité du prix ;
  • il était, de surcroît, stipulé que les titres, affectés en nantissement, reviendraient au vendeur en cas de défaut de paiement par la société luxembourgeoise.

La Cour juge qu’aucun de ces éléments de fait n’est de nature à établir que la société luxembourgeoise ne serait qu’interposée entre la société française et la société suisse, qui, au demeurant, ne sont pas liées.

Elle relève que la société luxembourgeoise a reçu de sa filiale française les dividendes qu’elle a utilisés dans son intérêt au remboursement de son crédit-vendeur, ce qui lui a permis de se désendetter et d’accroître ses actifs. Ainsi, c’est par un choix de gestion qui lui est propre qu’elle a affecté ces sommes au paiement de sa dette.

La Cour en conclut que, dans ces conditions, la société luxembourgeoise doit être regardée comme ayant effectivement bénéficié des dividendes reçus de sa filiale.

On soulignera également que les faits de l’espèce diffèrent un peu du schéma classique dans lequel l’Administration remet en cause la qualité de bénéficiaire effectif d’une entité capitalistiquement interposée entre la distributrice et l’entité qu’elle estime être le bénéficiaire réel.

Enfin, la CAA ne se penche pas sur le point de savoir si la société luxembourgeoise était effectivement résidente fiscale du Luxembourg, puisqu’elle souligne que, même si elle avait été résidente fiscale de France, elle n’aurait été soumise à aucune retenue à la source au titre des distributions litigieuses.

  • CAA Versailles, 17 octobre 2023, n°21VE03404, SAS P.S.T Industries
Photo de Alice de Massiac
Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

Photo de Clara Maignan
Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.