Après avoir constaté que la société mère holding luxembourgeoise n’était pas le bénéficiaire effectif des sommes distribuées par sa filiale française, la CAA de Paris écarte les dispositions de la directive mère-fille et celles de la convention fiscale franco-luxembourgeoise (ces sommes ont immédiatement été reversées dans leur intégralité à la « grand-mère » elle-même localisée au Luxembourg).
Rappel
Dans ses arrêts dits « danois », portant sur le régime d’exonération des retenues à la source (RAS) sur les dividendes (affaires C-116/16 et C-117/16), la CJUE s’était montrée indifférente à la situation relative au bénéficiaire ultime des revenus.
Jusqu’à récemment, l’administration fiscale, comme le juge de l’impôt, ne recourraient à la notion de bénéficiaire effectif que pour refuser le bénéfice d’avantages conventionnels au bénéficiaire « apparent » (parfois en combinaison avec la fraude à la loi, CE, 29 décembre 2006, n°283314, Bank of Scotland, parfois sur le seul terrain conventionnel, CE, 5 février 2021, n°430594, Sté Performing Rights Society Ltd) ou tirés du droit européen (CE, 23 novembre 2016, n°383838, Eurotrade Juice, ou encore CE, 5 juin 2020, n°423809, affaire Holcim).
Puis, le Conseil d’État est venu juger, de manière inédite, la possibilité pour l’administration fiscale, et symétriquement pour le contribuable, de se prévaloir de la convention fiscale conclue entre la France et l’État de résidence de la personne considérée comme le bénéficiaire effectif des revenus, malgré l’existence de versements à un bénéficiaire « apparent » différent (CE, 20 mai 2022 n°444451, Sté Planet). La notion de bénéficiaire effectif pourrait dès lors être utilisée, sous certaines conditions, aux fins d’application de la convention fiscale conclue avec l’État du bénéficiaire ultime du revenu.
On rappellera enfin que le Conseil d’État a jugé, à plusieurs reprises, que les conventions fiscales contiennent implicitement une clause de bénéficiaire effectif, y compris celles conclues avant que la convention modèle ne la prévoie explicitement (CE, 13 octobre 1999, n°191191, Diebold Courtage ou plus récemment CE, 23 novembre 2016, n°383838, Eurotrade Juice).
L’histoire
Une société, exerçant une activité de location immobilière, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité au titre des exercices 2013 à 2015, à l’issue de laquelle l’administration fiscale a notamment remis en cause l’exonération de la RAS appliquée au versement d’un acompte sur dividendes distribué par la société au profit de sa société mère luxembourgeoise, sur le fondement de l’article 119 ter du CGI.
Le TA de Montreuil a rejeté sa demande tendant, à titre principal, à la décharge de cette RAS ainsi que de la majoration et des intérêts correspondants et, à titre subsidiaire, à la réduction de la RAS par application du taux de 5 % prévu par l’article 8 de la convention fiscale franco-luxembourgeoise.
La décision
La CAA de Paris confirme la décision du TA.
Pour trancher du litige, la Cour retient notamment que :
- La société mère luxembourgeoise a intégralement reversé, dès le lendemain, la somme correspondant à l’acompte sur dividendes reçu alors qu’elle n’avait pas d’autres fonds disponibles, à son associé unique luxembourgeois (société « grand-mère »).
- La société mère ne disposait d’aucun moyen humain et matériel, qu’elle n’avait pas d’autre activité que celle de porter les titres de la société française et que ses 2 dirigeants étaient également ceux de la société grand-mère.
- L’administration fiscale n’a pas implicitement mis en œuvre la procédure d’abus de droit mais s’est bornée à constater que la société mère luxembourgeoise ne pouvait être regardée comme étant le bénéficiaire effectif de l’avance sur dividendes versée par la société française, au sens de l’article 119 ter du CGI.
- Le dossier ne contient aucun élément de nature à identifier, en ce qui concerne la société mère luxembourgeoise, l’existence d’une activité distincte de celle de relais dans la perception et la redistribution de dividendes et l’utilisation, à ce titre, des moyens matériels et humains.
- Peu importe que la société mère luxembourgeoise a été initialement créée dans le cadre d’un pacte d’actionnaires par un groupe d’investisseurs soucieux de se protéger contre une procédure collective, et que la réunion de toutes les actions entre les mains de la société grand-mère a été accompagnée d’un contrat de fiducie liant cette dernière aux autres investisseurs (considérations de nature juridique, organisationnelle et financière).
- Est sans incidence le fait que les stipulations de l’article 8 de la convention franco-luxembourgeoise sont antérieures à l’introduction d’une clause dite de bénéficiaire effectif.
On notera ici que la Cour ne s’attarde absolument pas sur le point de savoir si la société grand-mère, qui se trouve elle-même au Luxembourg (également Etat du bénéficiaire « apparent » du revenu), est le bénéficiaire effectif/ultime des sommes en cause. Elle se borne tout simplement à écarter tant les dispositions de la directive mère-fille que celle de la convention franco-luxembourgeoise, dans sa version en vigueur au litige, après avoir constaté que la société mère luxembourgeoise n’était pas le bénéficiaire effectif des sommes en cause.