Au regard des éléments de fait propres à l’espèce, la CAA de Versailles valide la comptabilisation en charges de dépenses de sous-traitance ne répondant pas aux critères d’immobilisation posés par le droit comptable, alors même que la société les ayant supportées a opté pour l’activation des dépenses de fonctionnement de recherche scientifique (CGI, art. 236, I).
Rappel
Au plan comptable, les modalités de comptabilisation des frais de recherche scientifique ou technique supportés par les entreprises diffèrent selon la période concernée :
- les coûts engagés lors de la phase de recherche doivent, dans tous les cas, être comptabilisés en charge (PCG, art. 212-3) ;
- en revanche, les coûts engagés lors de la phase de développement peuvent, sur option de l’entreprise, ne pas être comptabilisés en charge mais donner lieu à la comptabilisation d’un actif, à la condition qu’ils se rapportent à des projets nettement individualisés, ayant de sérieuses chances de réussite technique et de rentabilité commerciale ( com., art. R. 123-186) ;
En raison du principe de permanence des méthodes comptables, l’option pour l’activation est définitive, sauf cas exceptionnel de changement de méthode ; aussi, cette option, une fois exercée par l’entreprise, s’appliquera à l’ensemble des projets satisfaisant à ces mêmes critères.
Au plan fiscal, les entreprises qui engagent des frais de recherche scientifique ou technique disposent d’un choix entre la déduction immédiate ou l’immobilisation des dépenses de fonctionnement correspondantes (CGI, art. 236, I).
En application du principe de connexion fiscalo-comptable, l’Administration indique, dans ses commentaires au BOFiP, que l’option comptable d’activation des frais de R&D retenu par l’entreprise emporte option fiscale – autrement dit, l’option prise par l’entreprise sur le plan comptable constitue une décision de gestion qui lui est opposable fiscalement (BOI-BIC-CHG-20-30-30, 1er mars 2017, n°70).
Le Conseil d’État a confirmé, à plusieurs reprises, l’application du principe de connexion fiscalo-comptable en présence d’une option comptable – pour autant, bien entendu, qu’aucune règle de droit fiscal ne s’y oppose (notamment, CE, 13 juillet 2011, n°311844, SA GH Mumm & Ci, CE, 20 juin 2016, n°361832, SA Gecina).
L’histoire
Une société spécialisée dans les nouvelles technologies et les solutions innovantes appliquées à l’agriculture choisit, en 2010, l’option pour l’activation des frais de développement exposés dans le cadre d’un projet de recherche.
L’année suivante, elle signe un contrat avec le Centre National d’Etudes Spatiales, en vue de la réalisation d’un nouveau projet de recherche, pour l’exécution duquel elle a conclu un accord de consortium avec 4 organismes.
Dans ce cadre, elle active les frais de fonctionnement exposés au titre de ses propres travaux de recherche, en revanche, elle comptabilise en charge les dépenses de sous-traitance réalisées par les autres membres du consortium en 2011 et en 2012.
A l’issue d’une vérification de comptabilité, l’Administration oppose à la société le principe de permanence des méthodes comptables et considère que l’ensemble des dépenses afférentes à ce projet de recherche devaient suivre le même traitement comptable et fiscal (activation des dépenses versus charges). Cette analyse est confortée par la CAA de Versailles.
L’affaire a ensuite été portée devant le Conseil d’État, qui a rappelé le caractère irréversible de l’option pour l’activation des dépenses de fonctionnement de recherche scientifique prévue par l’article 236, I du CGI (sauf changement exceptionnel de situation du contribuable ou modification des règles comptables).
Il a toutefois jugé que si cette option devait s’exercer pour l’ensemble des dépenses des projets de recherche de l’entreprise, encore faut-il s’assurer, au cas par cas, que chacun de ces projets satisfait bien aux critères d’immobilisation prévus à l’article R. 123-86 du Code de commerce (CE, 26 juillet 2023, n°466493, Société Cap 2020 Consult).
L’affaire a été renvoyée devant la CAA de Versailles.
La décision de la CAA de Versailles
Après avoir rappelé les principes dégagés par le Conseil d’État en 2023, la CAA de Versailles se prononce sur la question de savoir si les dépenses de sous-traitance en cause remplissaient, ou non, les critères d’immobilisation posés par le droit comptable.
Elle juge que dans la mesure où les dépenses de sous-traitance en litige, exposées en 2011 et 2012, ne peuvent pas être qualifiées d’immobilisations incorporelles dont la société requérante aurait pu disposer, de façon probable, pour générer des avantages économiques futurs, celles-ci ne répondent pas aux critères prévus à l’article R. 123-186 du Code de Commerce pour être immobilisées.
Pour trancher en ce sens, la CAA de Versailles s’appuie sur les éléments suivants :
- La société requérante ne disposait pas de la possibilité d’utiliser ou de vendre les fruits issus des travaux menés par ses partenaires (les travaux effectués par les organismes partenaires de la société requérante ne sont pas effectués pour son compte, la propriété intellectuelle des connaissances nouvelles revient à chacun d’entre eux selon leur apport dans l’acquisition des connaissance, l’utilisation de ces connaissance par une autre partie devant faire l’objet de la concession d’un droit d’exploitation) ;
- Le projet dans le cadre duquel les dépenses en litige ont été réalisées était dans une phase de recherche, en amont de toute perspective de commercialisation (les prestations correspondant aux dépenses en litige se sont déroulées sur le 2nd semestre 2012, alors que la phase expérimentale s’achevait à peine et que les premiers fruits du projet n’étaient pas attendus avant le printemps 2013).
La Cour valide donc la comptabilisation par la société requérante, en charges, des dépenses de sous-traitance en litige.