Sur le fondement de l’article 39-1° du CGI, le TA de Lyon valide la remise en cause du caractère déductible des honoraires versés par une société française à une société hongkongaise dont l’existence est « douteuse », sans toutefois fonder sa décision sur l’article 238 A du CGI.
Pour mémoire, il résulte des règles régissant l’attribution de la charge de la preuve que les éléments de preuve qu’une partie est seule à pouvoir détenir doivent être réclamés à celle-ci. Il résulte ainsi d’une jurisprudence constante (voir notamment CE, 20 juin 2003, n°232832, Sté Etablissements Lebreton), que, pour l’application de l’article 39-1° du CGI, il appartient au contribuable de justifier :
- du montant des créances de tiers, amortissements, provisions et charges qu’il entend déduire de son bénéfice net ; et
- de la correction de leur inscription en comptabilité.
Le contribuable apporte cette justification par la production de tous les éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l’existence et la valeur de la contrepartie qu’il en a retirée.
Si elle s’y croit fondée, il revient ensuite à l’administration fiscale d’apporter la preuve du contraire.
L’histoire
Une société, spécialisée dans le commerce de gros notamment textile, a signé, en 2013, une convention d’aide au développement commercial international avec une société hongkongaise. En rémunération de ces prestations, la société française a versé des honoraires sur un compte bancaire ouvert à Hong Kong.
A l’issue d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices 2013 à 2015, l’Administration a remis en cause le caractère déductible de ces honoraires, au motif que l’existence de la société cocontractante ainsi que la réalité des prestations qu’elle s’était engagée à fournir n’étaient pas établies.
On notera que l’administration fiscale fonde son redressement dans la proposition de rectification, à titre principal, sur les dispositions de l’article 39-1° du CGI (non déductibilité des rémunérations non justifiées dans leur principe et dans leur montant pour la détermination du bénéfice net de l’entreprise – charge de la preuve pesant sur le contribuable) et à titre subsidiaire sur l’article 238 A du CGI (non déductibilité des rémunérations payées ou dues par une entité établie en France à une entité établie dans un État où elles sont soumises à un régime fiscal privilégié – charge de la preuve pesant sur l’Administration). Dans la phase contentieuse, elle se place alternativement sur les dispositions de l’article 39-1° du CGI dans la mesure où le juge estimerait que la société n’existe pas et dans le cas contraire, sur les dispositions de l’article 238 A du CGI.
Devant le TA de Lyon, la société demande la décharge des impositions supplémentaires ayant été mises à sa charge à raison de ce redressement.
La décision du TA
Après avoir rappelé les principes précités de dévolution de la preuve, le TA de Lyon valide le redressement opéré par l’Administration sur le fondement de l’article 39-1° du CGI. Il juge que la société requérante n’apporte pas la preuve de l’existence et de la valeur des prestations qui lui auraient été rendues par la société étrangère, dans le cadre de la convention conclue en 2013.
Pour trancher en ce sens, le TA relève les éléments suivants dans les preuves apportées par la société :
- L’imprécision des factures produites (ex. pas de référence à la convention, absence des coordonnées bancaires nécessaires pour procéder au paiement, pas d’identification de la nature des prestations facturées, ou encore factures émises par anticipation aux services rendus) ; et
- L’absence de mention de la société cocontractante dans les autres éléments produits (coupures de presse, échanges de courriers électroniques, billets de transport aériens ou ferroviaires) mais uniquement mention du nom de son dirigeant qui est également à la tête d’autres sociétés citées dans les pièces produites.
Le TA de Lyon ne se prononce pas explicitement sur le bien-fondé du redressement axé sur l’article 238 A du CGI. La question de l’applicabilité du 1er alinéa de l’article 238 A, dans l’hypothèse où l’existence de la société bénéficiaire des revenus est « douteuse » reste encore flottante. Le rapporteur public dans ses conclusions sous la décision commentée estime néanmoins que lorsqu’un doute existe « quant à la réalité du bénéficiaire [des rémunérations litigieuses], qui, par définition, ne saurait être imposé par application du régime fiscal privilégié de l’État dans lequel il s’est fictivement domicilié » l’Administration ne pourrait fonder son redressement sur l’article 238 A alinéa 1er du CGI.
Le tribunal considère par ailleurs que le versement des honoraires litigieux était dès lors constitutif d’une distribution occulte au sens de l’article 111, c du CGI, donnant lieu à l’application de la retenue à la source prévue à l’article 119 bis, 2 du CGI.
Il valide également l’application de la majoration de 80 % pour manœuvres frauduleuses (CGI, art. 1729) relevant que d’une part, la majoration de ses charges déductibles par le biais de factures établies par un prestataire à l’existence douteuse, sans contrepartie réelle, et que d’autre part, l’apparente régularité d’un point de vue formel des pièces présentées (i.e. convention de prestation, factures) caractérisaient un procédé ayant pour objectif d’égarer l’Administration.
Voir l’arrêt TA Lyon, 1er mars 2022, n°2005494