Article 123 bis, 3 du CGI : précisions sur les modalités de preuve d’un revenu réputé perçu inférieur au « seuil plancher »

La CAA de Versailles juge que, lorsqu’ils sont suffisamment probants, les relevés fiscaux émis par des banques constituent un élément de preuve qui peut justifier que le revenu réputé perçu par un contribuable français par l’intermédiaire d’une entité étrangère est inférieur au revenu défini forfaitairement par application des dispositions de l’article 123 bis du CGI (i.e., mise en œuvre de la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel, QPC, 1er mars 2017, n°2016-614).

Rappel

Pour mémoire, l’article 123 bis du CGI prévoit l’imposition en France, des avoirs détenus à l’étranger, par une personne physique fiscalement domiciliée en France, par l’intermédiaire d’une entité établie hors de France où elle est soumise à un régime fiscal privilégié, au sens de l’article 238 A du CGI, et dont les actifs sont principalement financiers (valeurs mobilières, créances, dépôts ou comptes courants). Les bénéfices et les revenus positifs de cette entité sont réputés acquis par la personne physique dans la proportion des actions, parts ou droits financiers qu’elle détient dans cette entité et soumis à l’impôt sur le revenu sur une assiette majorée de 25 %.

Ce mécanisme anti-abus s’applique en cas de détention, directe ou indirecte, de 10 % dans l’entité étrangère.

La détention de 10 % est présumée lorsque l’entité considérée est située dans un ETNC ou dans un Etat ou territoire n’ayant pas conclu de convention d’assistance administrative avec la France. Dans ce cas, le revenu imposable de la personne physique ne peut être inférieur à un plancher, égal au produit de la fraction de l’actif net (l’excédent des valeurs réelles d’actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiées, BOI-RPPM-RCM-10-30-20-20-12/09/2012, §410) ou de la valeur nette des biens de la personne morale par un taux égal au taux admissible au titre des intérêts de comptes courants d’associés (CGI, art. 39, 1, 3°).

Le Conseil Constitutionnel a jugé que les dispositions relatives au plancher minimal déterminé forfaitairement lorsque l’entité est située dans un ETNC « ne sauraient […] faire obstacle à ce que le contribuable puisse être autorisé à apporter la preuve que le revenu réellement perçu par l’intermédiaire de l’entité juridique est inférieur au revenu défini forfaitairement en application de ces dispositions » (Conseil constitutionnel, QPC, 1er mars 2017, n°2016-614, version de l’article 123 bis du CGI issue de la loi n°2009-1674).

Cette réserve d’interprétation a, par la suite, été étendue par le Conseil d’Etat aux dispositions de l’article 123 bis, 3 du CGI, dans leur version initiale – version issue de la loi n°98-1266 (CE, 28 janvier 2019, n°407421).

L’histoire

En 2011, un couple marié a spontanément déposé tardivement des déclarations rectificatives d’ISF et d’IR au titre des années 2006 à 2010.

A l’issue d’un contrôle sur pièces, l’Administration a décelé que le patrimoine en cause correspondait aux fonds détenus via 2 comptes bancaires luxembourgeois détenus par 2 sociétés étrangères domiciliées dans les Iles Vierges britanniques et au Panama et dont les contribuables étaient les seuls bénéficiaires économiques.

Après avoir constaté que les conventions d’assistance administratives avec la France n’étaient pas entrées en vigueur pour ces 2 pays, l’administration fiscale a réhaussé les revenus imposables des contribuables sur le fondement de la présomption prévue à l’article 123 bis, 3 al.2 du CGI (i.e. en appliquant le taux de référence de l’article 39, 1-3° du CGI à la valeur de l’actif net pour chacune des 2 sociétés, lequel correspond en l’espèce aux seuls montants figurant sur les relevés bancaires au 31 décembre de chaque année). Les redressements ont été assortis des pénalités de 40 % pour manquement délibéré (années 2006 et 2007) et de 80 % pour manœuvres frauduleuses (années 2008 à 2010).

Devant la CAA de Versailles, les contribuables contestaient les rehaussements au motif que les revenus « réellement perçus » par l’intermédiaire des sociétés situées aux Iles Vierges britanniques et au Panama étaient inférieurs au revenu plancher défini forfaitairement par l’article 123 bis, 3 du CGI (mise en œuvre de la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel).

La décision

Après avoir rappelé la réserve d’interprétation posée par le Conseil constitutionnel au 3 de l’article 123 bis du CGI, en vertu de laquelle le contribuable français peut apporter la preuve que le revenu réellement perçu par l’intermédiaire de l’entité étrangère est inférieur au revenu plancher défini forfaitairement par les dispositions de cet article, la CAA de Versailles juge que les relevés émis par les banques (‘relevés fiscaux’) dans lesquels étaient hébergés les comptes bancaires litigieux étaient susceptibles de constituer de tels éléments de preuve, dès lors que ces relevés étaient suffisamment probants.

Notons que ces ‘relevés fiscaux‘ émanant des établissements bancaires constituent une photographie des comptes bancaires et non pas une comptabilité, au sens de la réglementation comptable et du droit fiscal français. La Cour estime ainsi que la preuve par le contribuable du « revenu réellement perçu » est libre – peu importe qu’il ne s’agisse pas d’une comptabilité stricto sensu.

Sur les revenus réputés perçus par l’intermédiaire de la société située dans les Iles Vierges britanniques :

La Cour juge que les contribuables apportent la preuve que les revenus « réellement perçus » par l’intermédiaire de la société située dans les Iles Vierges britanniques étaient inférieurs au revenu plancher déterminé forfaitairement.

En effet, les ‘relevés fiscaux’ fournis par la banque luxembourgeoise au titre de la société comportaient l’ensemble des informations permettant de déterminer les revenus de la société, à savoir les produits (les intérêts de comptes et obligations, les dividendes, les plus-values et moins-values nettes réalisées et non réalisées), ainsi que les charges (les droits de garde, les commissions de gestion et les frais de tenue de compte) également nécessaires au calcul des revenus réellement perçus par les contribuables, par l’intermédiaire de cette société [relevés fiscaux jugés probants].

Sur les revenus réputés perçus par l’intermédiaire de la société située au Panama :

A l’inverse, compte tenu de l’imprécision et de l’absence d’exhaustivité des ‘relevés fiscaux’ fournis pour la société panaméenne par la banque luxembourgeoise, elle estime que les contribuables n’apportent pas une telle preuve [relevés fiscaux jugés insuffisamment probants].

Pour cette seconde société, le compte ouvert au Luxembourg avait été alimenté par un versement de fonds de la première société située dans les Iles Vierges britanniques, et par le dépôt puis le produit de la vente de lingots d’or. Or, les documents apportés ne permettaient notamment pas d’établir avec certitude le montant de la plus-value dégagée par la vente de ces lingots d’or.

La Cour confirme, par ailleurs, l’applicabilité de l’article 123 bis du CGI aux lingots d’or inscrits sur le compte courant des sociétés, en tant que dépôts.

Enfin, la Cour confirme l’application de la majoration de 80 % pour manœuvres frauduleuses pour les impositions restant en litige considérant que « si les requérants soutiennent que cette pénalité est injustifiée dès lors qu’ils ne se sont rendus coupables d’aucune manœuvre frauduleuse mais ont au contraire cherché à régulariser leur situation fiscale, en déposant spontanément des déclarations rectificatives en matière d’impôt sur la fortune, il est constant que ces déclarations n’étaient accompagnées d’aucune déclaration complémentaire, notamment des revenus de capitaux mobiliers tirés de ce patrimoine […]. »

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Myriam Mouloudj

Myriam, Avocate, possède une expérience de près de 15 ans en fiscalité. Arrivée chez Deloitte Société d’Avocats en 2006, elle réintègre le cabinet en 2019 pour rejoindre le Comité Scientifique […]