Article 209 B du CGI : appréciation du régime fiscal privilégié et conditions de mise en œuvre de la clause de sauvegarde

Le TA de Montreuil apporte d’intéressantes précisions sur les modalités d’appréciation du caractère privilégié du régime fiscal auquel est soumise l’entité étrangère, ainsi que sur les conditions de mise en œuvre de la clause de sauvegarde permettant de faire échec au dispositif de l’article 209 B du CGI.

Rappel

Les dispositions de l’article 209 B du CGI prévoient que, lorsqu’une société établie et passible de l’IS en France, exploite ou détient directement ou indirectement plus de 50 % d’une entité établie dans un État où elle est soumise à un régime fiscal privilégié, les résultats bénéficiaires de cette entité sont imposables à l’IS en France.

La notion de régime fiscal privilégié est définie par renvoi à l’article 238 A du CGI. Ainsi, une personne est réputée soumise à un tel régime dans un État étranger lorsqu’elle n’y est pas imposable, ou lorsqu’elle y est assujettie à des impôts sur les bénéfices ou les revenus inférieurs de 40 % ou plus à ceux dont elle aurait été redevable dans les conditions de droit commun en France si elle y avait été domiciliée ou établie.

Cette comparaison entre l’impôt acquitté à l’étranger et celui qui aurait été perçu en France doit s’effectuer in concreto (CE, 21 mars 1986, n°53002). En pratique, il y a donc lieu de comparer, au titre d’un exercice donné, la charge fiscale effectivement supportée, au titre de ses bénéfices ou de ses revenus, par la structure établie hors de France à celle qu’elle aurait supporté dans les conditions de droit commun, à raison des mêmes bénéfices ou revenus, si elle avait été établie en France (BOI-IS-BASE-60-10-10-20-20140627, § 120).

L’’article 209 B du CGI prévoit toutefois des clauses de sauvegarde, dont la teneur varie selon que l’entité étrangère est située dans un État membre de l’UE ou un État tiers.

Si l’entité est située dans un État tiers, le mécanisme anti-abus ne s’applique pas lorsque la société française est en mesure d’apporter la preuve que les opérations de l’entité étrangère ont principalement « un objet et un effet autres que de permettre la localisation de bénéfices dans un État ou territoire où elle est soumise à un régime fiscal privilégié ». Cette condition est réputée remplie notamment lorsque l’entité étrangère a une activité industrielle ou commerciale effective exercée sur le territoire de son établissement ou de son siège.

L’histoire

Une société française dispose de 2 sociétés holding établies aux îles Caïmans, qui ont reçu des dividendes de leur filiale pakistanaise au cours des années 2012 à 2014.

L’Administration a mis en œuvre les dispositions de l’article 209 B du CGI, et a réintégré dans les résultats de la société française en tant que revenus de capitaux mobiliers les résultats des filiales des Îles Caïmans, composés des dividendes perçus de leur filiale pakistanaise.

La société française a contesté le redressement.

La décision du TA de Montreuil

Devant le TA de Montreuil, la société française arguait que ses filiales n’avaient pas bénéficié d’un régime fiscal privilégié aux Îles Caïmans, et tentait de faire jouer la clause de sauvegarde.

Sur l’existence d’un régime fiscal privilégié

La société française faisait valoir que les dividendes perçus par ses filiales avaient fait l’objet d’une retenue à la source au Pakistan au taux de 7,5 % et qu’elles n’avaient, dès lors, pas bénéficié d’un régime fiscal privilégié aux Îles Caïmans, par comparaison avec celui auquel elles auraient été soumises en France si elles y avaient été domiciliées, compte-tenu de l’application du régime mère-fille.

Le TA rejette toutefois l’argument, et juge qu’à supposer la réalité du versement des retenues à la source établie, les sociétés établies aux Îles Caïmans n’y sont, ni en droit, ni en fait, soumises à aucune imposition à raison des bénéfices qu’elles réalisent, les retenues à la source ayant été établies par le Pakistan.

Rappelons que la lettre de l’article 238 A du CGI ne renvoie, pour apprécier l’existence d’un régime fiscal privilégié, qu’à la charge fiscale supportée dans l’Etat ou le territoire concerné, de sorte qu’il n’est, en principe, pas possible de tenir compte des retenues à la source prélevées en amont, hors du pays d’implantation.

On notera que le Conseil d’Etat a toutefois pu accepter par le passé la prise en compte de retenues à la source sur dividendes supportées par l’entité étrangère, dans le cas spécifique de retenues à la source appliquées en France sur les dividendes versés à l’actionnaire étranger, non applicable si l’actionnaire avait été résident de France (CE, 21 novembre 2011, n°327207, Compagnie des Glénans).

Dans le cas d’espèce, la question se pose de savoir dans quelle mesure il ne conviendrait pas de prendre en considération la RAS applicable le cas échéant sur les dividendes versés par une société pakistanaise à un actionnaire français.

Sur la mise en œuvre de la clause de sauvegarde

Pour établir que les opérations des filiales établies aux Îles Caïmans avaient principalement « un objet et un effet autres que de permettre la localisation de bénéfices dans un État ou territoire où elle est soumise à un régime fiscal privilégié », la société française invoquait 2 arguments :

  • Elle n’était pas à l’origine de cette structure de détention, mise en place par le groupe dont elle avait acquis les participations en 2011. Ainsi, les précédents investisseurs américains, anglais et pakistanais avaient localisé leur holding aux îles Caïmans, « dans le but d’avoir une holding commune dans un Etat dont la législation offrait un régime juridique et stable et efficace en termes d’exécution ».
  • Le démantèlement de la structure de détention aurait été coûteux et compliqué.

Là encore, le TA rejette ces arguments, considérant que la société française n’apportait pas suffisamment d’éléments permettant de justifier, de manière étayée, de l’intérêt de la localisation des filiales, ainsi que des complications auxquelles l’exposerait leur démantèlement.

On rappellera, à cet égard, que la circonstance que le recours à l’entité étrangère ait reposé lors de sa création sur une raison principalement autre que fiscale ne saurait être déterminante si l’opération litigieuse ne répond pas à cette raison d’être (notamment, CE, 25 avril 2022, n°439859, Rubis). De la même manière, il importe peu que l’entité étrangère ait été acquise par la société française dans le cadre d’une opération de croissance externe (CE, 4 juillet 2014, n°357264).

Enfin, la société française soutenait que si les sociétés établies aux Îles Caïmans étaient démantelées, le montant de l’IS dû en France serait identique. Le TA écarte l’argument, les sociétés échappant en tout état de cause à la QPFC du fait de leur localisation aux Îles Caïmans (non-assimilation de la QPFC à une exonération pour l’appréciation du régime fiscal privilégié).

On notera qu’un appel a été interjeté contre cette décision.

  • TA Montreuil, 23 juin 2022, n°1910220
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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.