La Commission européenne a dévoilé le 22 décembre 2021 un projet de directive visant à décourager l’utilisation des sociétés écrans à des fins fiscales. Analyse par Nathalie Aymé.
L’objectif est que le projet, une fois adopté, fasse l’objet d’une transposition dans le droit interne des 27 Etats Membres au plus tard le 30 juin 2023, pour une entrée en vigueur au 1er janvier 2024.
L’objet du projet de directive est de fournir une approche harmonisée pour l’appréciation des critères de substance minimum pour les entreprises établies dans l’Union européenne et déterminer les conséquences fiscales pour celles qui ne rempliraient pas ces critères.
Pour ce faire, la Directive propose un processus en 7 étapes :
Identification des entreprises devant faire l’objet d’une déclaration du fait d’un risque plus élevé de manque de substance.
Sont ainsi considérées à risque, et seront en conséquence soumises à une obligation déclarative spécifique, les entreprises qui présentent cumulativement plusieurs caractéristiques généralement associées aux entités avec peu ou pas de substance :
- activité passive : revenus issus à plus de 75 % de revenus passifs ou assimilés (produits financiers, redevances ou rémunération de propriété intellectuelle ou actifs incorporels, dividendes, plus-values de cession d’actions, revenus immobiliers ou revenus issus d’actifs à usage privé d’une valeur comptable supérieure à 1 m€, revenus issus d’activités d’assurance, banque ou autres activités financières ou prestations de services sous-traitées à des entités associées) au cours des deux exercices précédents ;
- activité internationale : revenus issus à plus de 60 % de transactions transfrontières, ou un bilan composé à plus de 60 % d’actifs immobiliers ou actifs à usage privé d’une valeur supérieure à 1 m€ situés à l’étranger. Dans l’hypothèse où les titres de sociétés, ou les biens immobiliers ou à usage privé excèdent 75 % de la valeur du bilan, la condition relative aux revenus n’est pas exigée ;
- recours important à la sous-traitance : au cours des deux exercices précédents, sous-traitance des activités liées à la gestion quotidienne de l’entreprise et des prises de décision pour les fonctions les plus importantes.
Sont cependant exonérées des obligations déclaratives supplémentaires certaines entités présumées à risque limité, soit qu’elles exercent des activités financières réglementées ou déjà soumises à des obligations de transparence renforcées du fait de leur statut (entreprises cotées, institutions financières, SICAV, sociétés d’assurance ou réassurance au sens de la Directive 2009/138/EC…), soit qu’ils s’agisse de sociétés holding ayant pour principale activité la détention d’activités opérationnelles dans le même Etat Membre de même que leurs bénéficiaires effectifs, soit qu’elles emploient au moins cinq équivalents temps plein dédiés aux activités générant les revenus de l’entité.
Obligations déclaratives spécifiques pour les entreprises présumées sociétés écrans
Les entreprises identifiées à l’issue de la première étape devront inclure un certain nombre d’informations dans leur déclaration annuelle de revenus afin de permettre à l’Etat Membre où elles sont établies de tester leur niveau de substance minimum.
Devront ainsi être mentionnés les indicateurs suivants :
- locaux : la détention ou la jouissance exclusive de bureaux dans l’Etat Membre en question ;
- compte bancaire : l’existence d’au moins un compte bancaire actif dans l’Union européenne ;
- administrateurs ou personnel salarié : alternativement :
- au moins un administrateur ou directeur non salarié résidant dans le même Etat Membre que celui où l’entreprise est établie, ou disposant d’une résidence suffisamment proche pour y exercer ses fonctions, doté de pouvoirs de décision relatifs à l’activité passive de l’entreprise, disposant d’une certaine autonomie pour les utiliser de façon régulière et par ailleurs non salarié d’une société tierce et n’exerçant pas de fonction similaire pour d’autres entreprises non liées ;
- une majorité de salariés équivalents temps plein résidant dans le même Etat Membre que celui où l’entreprise est établie, ou disposant d’une résidence suffisamment proche pour y exercer leurs fonctions, et dotés des compétences nécessaires à l’exercice de ces mêmes fonctions.
Devra en outre être annexée à la déclaration la documentation permettant de corroborer les réponses fournies (dont a minima l’adresse des locaux, le montant des revenus et des dépenses de l’entité par nature, l’identification des administrateurs ou directeurs non-salariés ou du personnel salarié avec leur lieu de résidence et qualifications professionnelles, les activités sous-traitées, le détail des comptes bancaires, procurations et preuves d’activité).
Etablissement d’une présomption simple de substance minimum ou absence de substance minimum
En fonction des informations communiquées dans la liasse fiscale, l’administration fiscale de l’Etat Membre concerné pourra établir soit la présomption d’une substance minimum (critères entièrement remplis), soit l’entreprise sera présumée manquer de substance suffisante et qualifiée de société écran.
Il s’agit d’une présomption simple, qui pourra être dans les deux cas renversée respectivement par l’administration fiscale ou le contribuable.
Renversement de la présomption d’absence de substance suffisante
Dans la mesure où les tests de substance ne reposent que sur des indicateurs, les contribuables ont la possibilité de renverser la présomption établie à la suite de l’étape précédente, en fournissant des éléments complémentaires d’appréciation portant sur :
- les motifs commerciaux ayant présidé à l’établissement de la société écran présumée ;
- le profil des salariés et notamment leur niveau d’expérience, leur rôle, position et pouvoirs de décision au sein de l’organigramme, leurs compétences et la durée de leur contrat ;
- le caractère local des prises de décisions relatives à l’activité de la société écran présumée ;
- tout élément permettant d’établir que l’entreprise a bien en permanence le contrôle des opérations ayant généré les revenus passifs et en a supporté les risques.
À l’issue de l’exercice pour lequel la présomption a été renversée, l’administration fiscale de l’Etat Membre aura la faculté de prolonger le bénéfice de ce renversement pour une période de 5 ans sous réserve qu’il n’y ait pas de changement dans les faits et circonstances relatifs à l’entreprise.
Clause de sauvegarde
Les États Membres auront la faculté d’exempter des obligations déclaratives spéciales certains contribuables qui n’auraient pas passé le test de substance minimum à l’issue de la première étape, lorsqu’ils sont en mesure de démontrer que l’interposition de la société écran dans l’organigramme n’a pas permis l’obtention d’un avantage fiscal pour ses bénéficiaires effectifs ou le groupe dans son ensemble.
La preuve de l’absence d’un avantage fiscal devra inclure une comparaison de la charge fiscale globale qui aurait été due sans interposition de la société en cause.
Cette exemption des obligations déclaratives sera valable pour une durée de 1 an, le cas échéant prolongée pour une durée totale de 5 ans, sous réserve d’une absence de changement dans les faits et circonstances propres à l’organisation.
Conséquences fiscales pour les entreprises qualifiées de sociétés écrans
Dans l’Etat Membre où la société écran est établie
L’administration fiscale locale pourra au choix ne pas délivrer de certificat de résidence fiscale, ou délivrer un certificat précisant que l’entité ne peut bénéficier des dispositions des conventions fiscales visant à éviter la double imposition ou tout autre convention internationale de portée équivalente.
En revanche, il n’y aurait aucune conséquence pour l’imposition locale de la société écran, qui resterait soumise à la législation fiscale existante de son Etat Membre d’établissement.
Dans les autres États Membres
Les autres États Membres pourront écarter l’application des dispositions des conventions visant à éviter la double imposition et taxer les revenus de la société écran comme s’ils avaient été directement appréhendés par ses actionnaires. Plus spécifiquement :
- l’Etat Membre de la source des revenus versés à la société écran pourra appliquer les retenues à la source de droit commun, ou appliquer la retenue prévue à la convention conclue le cas échéant avec l’Etat de résidence des actionnaires de la société écran ;
- l’Etat Membre de résidence des actionnaires de la société écran pourra imposer les revenus de cette dernière , déduction faite de l’IS local payé et des retenues à la source supportées le cas échéant sur les flux entrants (au taux de la convention conclue le cas échéant avec l’Etat de la source des revenus).
Les États tiers ne sont en revanche pas impactés par la Directive et continueront d’appliquer leurs dispositions de droit interne, étant précisé qu’en l’absence d’émission de certificat de résidence, ils pourront être eux-mêmes amenés à appliquer les retenues de droit commun sur les flux à destination de la société écran.
Echange automatique d’informations entre États Membres
Les entités qualifiées de sociétés écrans à l’issue des étapes précédentes feront l’objet d’un échange automatique d’informations par le biais d’un répertoire centralisé accessible en temps réel aux autorités fiscales des 27 Etats Membres.
Contrôle et sanctions
La Directive ne prévoit pas de modalités particulières de contrôle des déclarations, mais apporte deux précisions importantes :
- d’une part, les autorités fiscales d’un Etat Membre pourront solliciter leurs homologues en cas de soupçon de défaut ou d’irrégularité de déclaration d’une entité susceptible d’être qualifiée de société écran, afin de déclencher un contrôle sur la situation de cette entité ;
- d’autre part, en cas d’infraction aux dispositions de la Directive, les sociétés défaillantes pourront faire l’objet de pénalités laissées à ce stade à l’appréciation des législateurs nationaux, mais comportant une sanction pécuniaire administrative égale à au moins 5 % des revenus de l’entreprise concernée.