Caractère commercial de l’aide visant à sauvegarder les perspectives de chiffres d’affaires futurs

Le Conseil d’Etat rappelle qu’une aide peut être regardée comme présentant un caractère commercial dès lors qu’elle tend à sauvegarder les perspectives de développement d’une activité, même si, à la date d’octroi de l’aide, ladite activité n’a encore permis la réalisation d’aucun chiffre d’affaires.

Rappel

Le législateur a entendu expressément encadrer les aides intra-groupe accordées à compter des exercices clos depuis le 4 juillet 2012 (CGI art. 39, 13) en posant un principe général de non-déductibilité des aides à caractère financier par opposition aux aides à caractère commercial. Par exception, et sous certaines conditions, l’aide à caractère financier est considérée comme une charge déductible de l’exercice, non constitutive d’un acte anormal de gestion, lorsqu’elle est consentie à une entreprise en difficulté financière dans le cadre d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation, ou lors d’une procédure de conciliation en application d’un accord constaté ou homologué.

On considère généralement que présente un caractère commercial l’aide qui trouve son origine dans des relations commerciales entre 2 entreprises et qui est consentie soit pour maintenir des débouchés, soit pour préserver des sources d’approvisionnement (BOI-BIC-BASE-50-10, 24 février 2021, n°120).

A l’inverse, une aide sera regardée comme revêtant un caractère financier lorsqu’elle est accordée par une entreprise en vue de sauvegarder la valeur de ses participations, en assurant la pérennité d’une filiale, ou de sauvegarder son renom (auprès d’établissements bancaires notamment, voir en ce sens CE, 20 novembre 1974, n°85191).

Cela étant, confrontées en pratique à une imbrication de relations commerciales et de relations financières entre la société mère et sa filiale, la jurisprudence (CE, 27 juin 1984, n°35030), comme la doctrine administrative (BOI-BIC-BASE-50-10, 24 février 2021, n°140), prescrivent de rechercher quels sont les motifs prépondérants qui ont conduit à l’octroi de l’aide.

L’histoire

Une société française, propriétaire de la propriété intellectuelle d’un groupe industriel, a conclu avec sa filiale turque – dans laquelle elle détenait une participation minoritaire à hauteur de 22 % – un contrat concédant à cette dernière le droit d’utiliser les marques du groupe, des brevets et un savoir-faire afin de fabriquer et de vendre des produits laitiers sur le marché turc.

A la fin de l’exercice 2010, la société turque affichait une situation nette déficitaire très significative, et encourait, en vertu du droit turc, un risque de cessation de son activité.

En 2011, sa société mère française lui a alors accordé une subvention très significative.

L’Administration a considéré que cette aide présentait un caractère financier, et n’en a admis que partiellement la déduction, sous le régime applicable antérieurement à la 2e LFR 2012 (à proportion de la participation de la société française dans sa filiale turque).

La société française arguait, elle, que cette aide présentait un caractère commercial, en se prévalant, d’une part, de l’importance stratégique du maintien de la présence du groupe sur le marché turc et, d’autre part, de la perspective de croissance des produits qu’elle devait recevoir de ladite filiale au titre des redevances d’exploitation des marques et autres droits incorporels dont elle était propriétaire.

La décision du Conseil d’Etat

Le Conseil d’Etat confirme le caractère commercial de l’aide litigieuse.

Il juge d’abord qu’est sans incidence sur cette qualification la circonstance que l’actionnaire majoritaire de la société turque (société également turque appartenant au même groupe) disposait tout autant d’un intérêt financier à la préservation du renom de la marque, ce qui, selon l’Administration, faisait obstacle à ce que la société française supporte intégralement la charge du refinancement de la filiale.

Autrement dit, la seule existence d’un intérêt financier de l’actionnaire principal de la société bénéficiaire de l’aide ne saurait caractériser l’absence d’intérêt commercial de la société accordant l’aide.

L’Administration arguait, de plus, qu’aucune redevance n’avait été versée par la société turque à la société française avant 2017.

Le Conseil d’Etat rappelle toutefois qu’une aide peut être regardée comme présentant un caractère commercial dès lors qu’elle tend à sauvegarder les perspectives de développement d’une activité, même si, à la date d’octroi de l’aide, ladite activité n’a encore permis la réalisation d’aucun chiffre d’affaires (ou, comme en l’espèce, le versement d’aucune redevance en rémunération du droit d’exploiter des actifs incorporels).

Il fait ici application d’un principe tout récemment dégagé (Conseil d’Etat, 26 juillet 2023, n°463846, Sté RT2i).

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.