Caractérisation d’un établissement stable dans le domaine du digital

Pour contrôler l’existence d’un établissement stable en France d’une société irlandaise, le juge procède à une analyse détaillée du degré d’intervention des salariés de la société française sous-traitante au titre des services intra-groupe rendus et de leur implication, situation factuelle qu’il confronte aux stipulations contractuelles.

Le 1er janvier 2008, la société Valueclick International Ltd, société irlandaise qui exerce une activité de marketing digital, a conclu un contrat de prestations de services intra-groupe, avec la société Valueclick France qui, dans ce cadre, lui fournit différents services (support marketing, management, assistance back-office et administratifs) rémunérées sur la base d’un cost + 8 %. Cet accord précise qu’il ne peut avoir pour effet ni d’instituer entre les parties des relations telles que celles qui sont susceptibles d’unir une entreprise et un agent, ni d’autoriser la société française à contracter ou à s’engager au nom de la société irlandaise ou à la représenter envers une entreprise à l’égard de laquelle elle serait autorisée à contracter ou à s’engager.

L’Administration a considéré que la société Valueclick International Ltd n’était qu’une entité de facturation et de signature des contrats, dont l’activité de marketing était réalisée en France avec les moyens de la société française. Elle fondait son analyse sur la caractérisation en France, à la fois d’une installation fixe d’affaires dans les locaux de la société française, ainsi que celle d’un agent dépendant exerçant de façon habituelle, en France, des pouvoirs lui permettant de conclure des contrats au nom de la société irlandaise (CGI, art. 209 et convention fiscale franco-irlandaise, art. 2).

Sur l’existence d’une installation fixe d’affaires

La CAA de Paris relève, d’une part, que les termes utilisés par le contrat de services intra-groupe pour définir les prestations réalisées par la société française sont généraux et, d’autre part, que les prestations en cause recouvrent globalement les tâches qu’une entreprise qui fournit des prestations de marketing digital est susceptible de réaliser, telles que les négociations avec le client. La société française n’a donc pas réalisé d’autres prestations que celles prévues par le contrat de services intra-groupe – courantes dans le domaine du marketing digital – qui seraient susceptibles de correspondre à l’activité d’un établissement stable, distincte de son activité propre. La société Valueclick International Ltd ne peut donc être regardée comme disposant d’une installation fixe d’affaires par laquelle elle exercerait, en tout ou en partie, son activité en France au travers de la société Valueclick France.

Sur la qualité d’agent dépendant

L’Administration soutenait que si les stipulations du contrat de services intra-groupe s’opposaient à ce que la société française détienne le pouvoir d’engager la société irlandaise, elle détenait, « en fait », le pouvoir d’agir au nom et pour le compte de la société irlandaise et revêtait donc la qualité d’agent dépendant.

La CAA reprend la – longue – liste d’éléments démontrant l’implication de la société française dans la négociation des contrats et retenue au soutien de l’analyse du service vérificateur, pour conclure qu’ils ne sont pourtant pas suffisants à établir le pouvoir des salariés de la société française d’agir au nom et pour le compte de la société irlandaise. Pour ce faire, elle a confronté ces éléments factuels aux stipulations contractuelles.

Ainsi, il est relevé que :

  • Les salariés de la société Valueclick France négociaient les termes des contrats avec les clients
  • La signature des contrats par la société irlandaise était automatique. Cette signature s’apparentait à une simple validation des contrats négociés par le personnel de la société française
  • Les publicités étaient mises au point et suivies par des salariés de la société française
  • Les salariés de la société française se comportaient auprès des tiers comme des salariés de la société irlandaise et qu’il existait une confusion entre ces dernières dans l’esprit des clients

Pour autant, pour la Cour, les salariés de la société française ne disposaient pas du pouvoir d’agir au nom et pour le compte de la société irlandaise.

En effet, elle met en regard que les conditions générales des contrats et les grilles tarifaires, ainsi que les modifications souhaitées par les clients, devaient être validées par la société irlandaise avant toute acceptation. En outre, seule la validation du lancement des programmes publicitaires par la société irlandaise permettait la formation juridique du contrat. Ces deux points n’étant pas contestés par l’Administration, la Cour juge ainsi que la société française ne pouvait être regardée comme disposant du pouvoir d’engager la société irlandaise.

On notera que l’on retrouve ici l’analyse des différents éléments relevés par le Tribunal administratif de Paris dans son arrêt Google (considérant 13, TA Paris, 12 juillet 2017, not. n° 1505113, Google Ireland Limited). Au fil des décisions, les critères permettant d’identifier l’existence d’un établissement stable dans le domaine du digital se dessinent sur la base d’une analyse approfondie des circonstances de faits, confrontées aux stipulations contractuelles, pour vérifier l’existence et l’étendue du contrôle exercé par la société étrangère.