Cession à prix minoré et mise en évidence d’un avantage occulte

Le Conseil d’Etat rappelle qu’en cas de cession à prix minoré, l’intention libérale peut être présumée en présence d’une relation d’intérêts. Il juge, en outre, que l’associé bénéficiaire de l’avantage occulte en résultant ne peut prétendre au bénéfice du mécanisme de la « cascade » prévu par l’article L. 77 du LPF.

Rappel

L’avantage octroyé en cas de vente à prix minoré, lorsque l’écart constaté ne comporte pas de contrepartie, peut être requalifié d’avantage occulte constitutif d’une distribution de bénéfices au sens des dispositions du c de l’article 111 du CGI.

L’inscription en comptabilité ne suffit pas à écarter une telle qualification, si elle ne révèle pas, par elle-même, la libéralité (CE, 28 février 2001, n°199295, Thérond, 7 septembre 2009, n°309786, Simon-Bigard).

Dans cette hypothèse, il appartient à l’Administration d’établir l’existence, d’une part, d’un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale du bien et, d’autre part, de l’intention d’octroyer une libéralité et, pour le bénéficiaire, de la recevoir. Selon une jurisprudence bien établie, l’intention libérale peut être présumée en présence d’une relation d’intérêts.

L’histoire

En 2010, une EURL exerçant une activité de marchand de biens a acheté un terrain à bâtir, avant de le céder, moins de 2 ans après, à son gérant, unique associé de la structure.

A l’occasion d’une vérification de comptabilité de l’EURL, l’Administration a considéré que le prix de cession du terrain était nettement inférieur à la valeur vénale du terrain à cette date et a réintégré dans le bénéfice imposable le montant de la minoration estimée du prix de vente ainsi déterminé.

Elle a par ailleurs estimé que l’associé de l’EURL avait bénéficié, à hauteur de ce même montant, d’une libéralité taxable en tant que rémunération occulte sur le fondement des dispositions du c de l’article 111 du CGI.

La décision du Conseil d’Etat

Sur l’existence d’un écart significatif entre le prix de cession et la valeur vénale du bien

Après avoir validé la méthode d’évaluation de la valeur vénale du terrain retenue par l’Administration (valeur déterminée à partir du prix de transactions contemporaines dans un rayon de 3 km autour du terrain en litige, après application de décotes), le Conseil d’Etat reconnaît, sans difficulté, l’existence d’un écart significatif – de l’ordre de 25 % – entre le prix de cession et la valeur vénale ainsi reconstituée.

Pour rappel, le juge de l’impôt considère, en règle générale, qu’un écart significatif est un écart d’au moins 20 % (CE, 3 juillet 2009, n°3012999 ou encore CE, 31 mars 2010, n°297307). Plus récemment, il a pu juger qu’eu égard aux circonstances particulières de l’espèce, un écart de 14,1 % pouvait également être regardé comme significatif (CE, 7 avril 2023, n°466247, Sté Crédit Agricole).

Sur la mise en évidence d’un avantage occulte

Le Conseil d’Etat confirme et complète sa jurisprudence antérieure.

Il rappelle ainsi que l’avantage octroyé dans le cadre d’une cession à prix délibérément minoré est constitutif, lorsque l’écart de prix ne comporte pas de contrepartie, d’une libéralité représentant une distribution au sens des dispositions de l’article 111, c, du CGI, alors même que l’opération est portée en comptabilité et assortie de toutes les justifications concernant son objet et l’identité du co-contractant, dès lors que cette comptabilisation ne révèle pas, par elle-même, la libéralité en cause.

Il juge ensuite, de manière dépourvue de toute ambiguïté, que la preuve de l’intention libérale en pareille hypothèse est présumée lorsque les parties sont en relation d’intérêts.

Au cas d’espèce, l’existence d’une relation d’intérêts ne faisait pas débat, le cessionnaire du bien litigieux étant l’associé unique et le gérant de l’EURL cédante, de sorte qu’il ne pouvait ignorer la valeur réelle du bien qu’il avait acquis.

Le Conseil d’Etat reconnaît donc l’existence d’une libéralité – sans qu’y fasse obstacle la circonstance que la société cédante aurait réalisé une marge de près de 22 % lors de la vente du bien considéré (dans le même sens, pour une marge de 20 %, CE, 4 juin 2019, n°418357, Société d’investissements maritimes et fonciers).

Sur la non-application du mécanisme de la cascade

L’associé unique et gérant de l’EURL sollicitait l’application du mécanisme dit de « la cascade », afin de pouvoir déduire de la valeur de l’avantage occulte le montant de l’IS dû par l’EURL à raison du rehaussement correspondant.

Le Conseil d’Etat refuse de faire droit à cette demande, et rappelle que les dispositions de l’article L. 77 du LPF ne s’appliquent que dans l’hypothèse d’une taxation entre les mains d’un associé de sommes réputées distribuées en conséquence d’un rehaussement des résultats d’une société soumise à l’IS, et non aux sommes constitutives d’une libéralité, directement appréhendées par l’associé et taxées entre ses mains sur le fondement des dispositions de l’article 111, c, du CGI (dans le même sens, CE, 20 février 1991, n°59865).   

Photo de Alice de Massiac
Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

Photo de Clara Maignan
Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.