Cession de titres à prix minoré : le Conseil d’Etat resserre la vis

Le Conseil d’Etat juge qu’eu égard aux circonstances de l’espèce, un écart de 14,1 % entre le prix de cession et la valeur vénale des titres constitue un « écart significatif » traduisant l’existence d’un acte anormal de gestion en l’absence de contrepartie. Jusqu’à présent, le juge de l’impôt fixait cet écart autour de 20 %.

Rappel

On sait que, lorsque l’Administration établit que la cession d’un élément d’actif a été réalisée à un prix manifestement minoré (existence d’un « écart significatif » entre le prix de vente et la valeur vénale), l’intention libérale est présumée (CE, 28 février 2001, n°199295, min c/Théron).

Le juge de l’impôt considère, en règle générale, qu’un écart significatif est un écart d’au moins 20 % (CE, 3 juillet 2009, n°3012999 ou encore CE, 31 mars 2010, n°297307).

C’est alors au contribuable de justifier que l’appauvrissement en résultant a été décidé dans l’intérêt de l’entreprise, soit que celle-ci se soit trouvée dans la nécessité de procéder à la cession à un tel prix, soit qu’elle en ait tiré une contrepartie (CE, 21 décembre 2018, n°402006, Sté Croë Suisse, rapidement confirmée à plusieurs reprises, notamment CE, 6 février 2019, n°410248, SARL Alternance et 15 février 2019, n°407531, SARL Hulia).

Histoire et procédure

En 2010, les titres d’une société non cotée ont été cédés entre deux sociétés membres de la même intégration fiscale.

L’Administration a considéré que la cession des titres avait été effectuée à un prix très inférieur à la valeur réelle de ces derniers, et que cet écart de valeur était, par suite, constitutif d’une libéralité.

Pour ce faire, elle a eu recours à la méthode d’évaluation dite patrimoniale ou mathématique, et mis en évidence l’existence d’un écart de 14,1 % entre le prix de cession et la valeur réelle ainsi reconstituée.

S’en est suivi un long contentieux, à l’issue duquel le Conseil d’Etat a, une première fois, annulé la décision des juges du fond en ce que ceux-ci avaient, dans le même temps, validé la méthode d’évaluation mathématique retenue par l’Administration et écarté tous les facteurs de décote dont se prévalait la requérante, tout en considérant que l’écart de 14,1 % était insuffisant « compte-tenu de l’aléa inhérent à toute évaluation de titres non cotés en bourse » (CE, 26 octobre 2021, n°426462, Sté Crédit Agricole).

Statuant sur renvoi après cassation, la CAA de Versailles a, une nouvelle fois, confirmé l’adéquation de la méthode d’évaluation retenue par l’Administration et jugé que l’écart de 14,1 % ne pouvait être regardé comme présentant « en l’absence de circonstances particulières à l’espèce » un caractère significatif (CAA Versailles, 7 juin 2022, n°21VE02923).

La décision du Conseil d’Etat

Saisi d’un nouveau pourvoi, Conseil d’Etat annule la décision de la CAA de Versailles, avant de juger, cette fois, l’affaire au fond.

Sur la méthode de valorisation des titres

Il vient d’abord rappeler, de manière classique, que la valeur vénale des actions non admises à la négociation sur un marché réglementé doit être appréciée compte-tenu de tous les éléments dont l’ensemble permet d’obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu’aurait entraîné le jeu normal de l’offre et de la demande à la date où la cession ou l’apport est intervenu.

Cette valeur doit être établie prioritairement par comparaison avec des transactions contemporaines portant sur des titres de la société ou de sociétés similaires ; à défaut d’existence d’un tel comparable, l’Administration peut se fonder sur l’une des méthodes destinées à déterminer la valeur de l’actif ou sur la combinaison de plusieurs de ces méthodes (notamment CE, 21 octobre 2016, n°390421).

Au cas d’espèce, l’Administration avait choisi de recourir à la méthode d’évaluation mathématique ou patrimoniale, et non à une comparaison avec ce qu’aurait entraîné le jeu normal de l’offre et la demande sur le marché, en justifiant ce choix par le fait que la société évaluée était en cessation programmée d’activité.

Si, dans ses premières écritures, la société requérante soutenait que l’Administration aurait dû procéder à une combinaison de méthodes, en se fondant notamment sur la méthode dite de productivité, elle a finalement admis devant le Conseil d’Etat, jugeant en seconde cassation, le caractère adéquat de la méthode patrimoniale retenue par l’Administration.

Se fondant sur un rapport d’évaluation établi par un expert à sa demande, elle arguait toutefois que plusieurs décotes devaient être appliquées (notamment, des décotes pour risques, pour fiscalité latente ou encore pour absence de liquidité des titres).

Le Conseil d’Etat écarte l’ensemble de ces demandes, estimant qu’elles étaient soit non-pertinentes, soit dépourvues d’éléments justificatifs satisfaisants, et confirme tant la méthode de reconstitution que la valeur vénale mise en évidence par l’Administration.

Sur l’existence d’un écart significatif

Il juge ensuite que l’écart de 14,1 % doit être regardé comme significatif « eu égard à la situation particulière de la société ». Il convient de rappeler que l’actif net de la société dont l’activité avait cessé depuis quelques années était principalement composé de trésorerie ou équivalent.

En l’absence de toute justification pour la société de cette minoration du prix de cession, le Conseil d’Etat juge que l’Administration doit être regardée comme apportant la preuve de son caractère anormal et de l’existence d’une libéralité (faisant, de surcroît, obstacle à l’application du régime des plus-values à long terme demandée, à titre subsidiaire, par la société).

Par cette décision rigoureuse, le Conseil d’Etat semble donc remettre en cause le « plancher » de 20 % jusqu’alors retenu de longue date par le juge de l’impôt.

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.