Cession de titres à prix minoré : décote appliquée à la valeur vénale pour risques liés à la forte dépendance des sociétés cédées à une même personne

La CAA de Paris juge qu’il convient d’appliquer une décote, de 20 % au cas d’espèce, au prix de cession des titres recalculé par l’Administration par le biais de la méthode de productivité afin de tenir compte des risques liés à la forte dépendance des sociétés cédées à une même personne.

Rappel

Lorsque l’Administration établit que la cession d’un élément d’actif a été réalisée à un prix manifestement minoré (existence d’un « écart significatif » entre le prix de vente et la valeur vénale), l’intention libérale est présumée (CE, 28 février 2001, n°199295, min c/Théron).

Le juge de l’impôt avait l’habitude de considérer comme « significatif » un écart d’au moins 20 % entre la valeur retenue et la valeur de marché (CE, 3 juillet 2009, n°3012999 ou encore CE, 31 mars 2010, n°297307). Il a néanmoins récemment jugé, qu’eu égard aux circonstances de l’espèce, un écart de 14,1% entre le prix de cession et la valeur vénale des titres constitue un « écart significatif » traduisant l’existence d’un acte anormal de gestion en l’absence de contrepartie (CE, 7 avril 2023, n°466247, Sté Crédit Agricole).

En tout état de cause, il appartient ensuite au contribuable de justifier que l’appauvrissement en résultant a été décidé dans l’intérêt de l’entreprise, soit que celle-ci se soit trouvée dans la nécessité de procéder à la cession à un tel prix, soit qu’elle en ait tiré une contrepartie au moins équivalente (CE, 21 décembre 2018, n°402006, Sté Croë Suisse, confirmée à plusieurs reprises, notamment CE, 6 février 2019, n°410248, SARL Alternance et 15 février 2019, n°407531, SARL Hulia).

L’histoire

En 2011, une société procède à l’acquisition auprès d’une société suisse non liée des titres de 2 sociétés non cotées.

A l’issue d’une vérification de comptabilité portant sur la période 2011/2013, l’Administration a considéré que l’acquisition des titres avait été effectuée à un prix très inférieur à leur valeur vénale, et qu’il existait une relation d’affaires entre la société cédante et la société cessionnaire. Elle a donc rehaussé le bénéfice imposable de la société cessionnaire au titre de l’exercice de cession sur le fondement des articles 38-2 et 111 c du CGIi.e. cession de titres à prix minoré avec intention de consentir (pour la cédante) /recevoir (pour la cessionnaire) une libéralité – et fait application de pénalités en conséquence.

La décision de la CAA de Paris

Sur la date de l’opération de cession

La CAA de Paris rappelle d’abord que lorsque la cession des titres d’une société est conclue sous conditions suspensives, la valeur de ces titres doit être appréciée à la date à laquelle ces conditions sont levées (voir notamment CE, 4 mai 2011, n°324579).

Au cas d’espèce, un accord de principe a été conclu en septembre 2010 entre les 2 dirigeants des sociétés cédante et cessionnaire sous 2 conditions suspensives : l’obtention d’un prêt et la conclusion positive des audits des comptes des sociétés.

Les conditions suspensives n’ayant pas été réalisées dans le délai stipulé, l’accord de principe est devenu caduc. Dès lors, la cession a fait l’objet d’un protocole de cession de titres intervenu le 29 mars 2011.

La Cour estime que l’Administration était fondée à retenir, comme date de cession, la date correspondant à la signature du protocole de cession des titres, et non celle de l’accord de principe.

Sur l’évaluation de la valeur vénale des titres cédés

La CAA de Paris rappelle, dans un 1er temps, que la valeur vénale des actions d’une société non admises à la négociation sur un marché réglementé doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l’ensemble permet d’obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu’aurait entrainé le jeu normal de l’offre et de la demande à la date où la cession est intervenue.

Au cas d’espèce, l’Administration avait choisi de procéder à une combinaison des méthodes de productivité et de survaleur à une date proche de celle de la cession des titres, ce qui a conduit le vérificateur à constater un écart de valorisation très significatif (environ 5 m€ versus 600 k€).

La société requérante, qui avait appliqué une méthode d’évaluation mathématique sur la base des résultats nets, conteste le recours à la méthode de productivité fondée sur une productivité pérenne observée au cours de plusieurs exercices antérieurs dans la mesure où :

  • il s’agissait de la valorisation de sociétés en démarrage ayant moins d’un an d’activité ;
  • la capacité de démarchage de leur acquéreur était contrainte jusqu’en avril 2012 par la clause de non-concurrence le liant à son ancien employeur ce qui rendait l’exploitation particulièrement aléatoire.

La Cour rejette néanmoins ces arguments après avoir relevé que :

  • l’Administration s’est seulement fondée sur une moyenne des chiffres d’affaires constatés alors que de nouveaux contrats et une nouvelle activité avait été lancés, et que cette dernière a appliqué, pour le calcul du coefficient de capitalisation, un taux de risque très élevé de 3 aux fins de prendre en compte les risques d’une activité en démarrage dans un secteur volatile ;
  • les sociétés cédées ont dégagé au cours des 3 exercices clos suivant la cession des résultats comparables – autour de 5% – à ceux retenus par le service pour évaluer leur valeur de productivité. Elle admet toutefois que les résultats de l’exercice clos en N+5 sont très inférieurs, conduisant à une légère surévaluation de la valeur des titres par l’Administration.

La Cour retient par ailleurs une très forte dépendance des sociétés cédées à une seule personne, justifiant que soit appliquée une décote au titre des risques associés à une telle dépendance.

En conséquence, la Cour juge que la méthode d’évaluation utilisée par l’Administration n’est pas « radicalement viciée » et qu’il sera fait, au cas d’espèce, une juste appréciation de la légère surévaluation et de l’absence de prise en compte de la dépendance excessive des sociétés cédées à leur dirigeant en appliquant une décote de 20% à la valorisation calculée par l’Administration – cette dernière étant fondée à soutenir que la minoration de la valeur des titres est très significative.

Il convient de noter par ailleurs que la Cour a refusé de donner un caractère opposable (interprétation formelle de la loi fiscale), sur le fondement de l’article L.80A du LPF, aux recommandations figurant dans le guide d’évaluation des biens publié par la DGFIP.

    

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Myriam Mouloudj

Myriam, Avocate, possède une expérience de près de 15 ans en fiscalité. Arrivée chez Deloitte Société d’Avocats en 2006, elle réintègre le cabinet en 2019 pour rejoindre le Comité Scientifique […]