La Commission européenne présente un paquet de mesures en vue de lutter contre l’évasion fiscale

Présenté le 28 janvier, il comporte notamment un projet de directive permettant d’assurer un certain degré d’uniformité dans la mise en oeuvre des résultats du projet BEPS dans l’ensemble de l’Union, une recommandation sur les conventions fiscales, une révision de la directive sur la coopération administrative qui introduira un système d’échange de déclarations pays par pays entre les administrations fiscales, ainsi qu’une communication sur une stratégie extérieure pour une imposition effective.

Le paquet de mesures présenté par la Commission européenne le 28 janvier dernier repose sur trois grands piliers. Tout d’abord, une imposition effective des entreprises au lieu de réalisation de leurs bénéfices. Ensuite, la transparence fiscale, de sorte que les Etats membres disposent des informations nécessaires pour garantir la justice fiscale. Enfin, la réduction du risque de double imposition, pour que les entreprises qui s’acquittent de leur juste part d’impôt ne soient pas pénalisées en raison de leur activité sur le marché intérieur de l’Union.

En pratique, le paquet de mesures se compose des éléments suivants.

Une proposition de directive sur la lutte contre l’évasion fiscale

La proposition de directive comporte six grandes mesures, contraignantes pour tous les Etats membres, visant à empêcher l’évasion fiscale :

Règle relative aux sociétés étrangères contrôlées (« SEC »)

Prévenir les transferts de bénéfices vers des pays à fiscalité faible ou nulle.

Elle permettra à l’Etat membre de la société mère d’imposer les revenus non distribués d’une filiale (détenue à plus de 50 % et générant, pour plus de 50 %, des revenus passifs mobiles), située dans un Etat tiers à fiscalité faible ou nulle (taux d’imposition effectif inférieur à 40 % de celui de l’Etat membre considéré). La règle ne serait toutefois pas applicable aux entreprises sises dans un Etat de l’UE ou de l’EEE, sauf participation à un montage non authentique. Elle ne s’appliquerait en principe jamais aux entreprises financières ayant leur résidence fiscale dans un Etat de l’UE ou de l’EEE.

IL EST CONSEILLÉ AUX ETATS MEMBRES D’INTRODUIRE DÈS À PRÉSENT UNE CLAUSE ANTI-ABUS GÉNÉRALE FONDÉE SUR LE CRITÈRE DE L’OBJET PRINCIPAL DES TRANSACTIONS OU DES MONTAGES CONCERNÉS

Règle du « switch over »

Eviter la double non-imposition de certains revenus en provenance de pays tiers.

Un mécanisme spécifique s’appliquerait désormais aux revenus étrangers en provenance d’un Etat tiers (dividendes, produits de cession de parts, revenus provenant d’un établissement stable). Les autorités fiscales auront ainsi la possibilité de refuser l’exonération si le revenu a été imposé à un taux très faible ou nul dans le pays tiers (taux d’imposition inférieur à 40 % du taux légal d’imposition en vigueur dans l’Etat membre considéré). Dans ce cas, le contribuable sera soumis à l’impôt sur les revenus étrangers et pourra déduire en contrepartie l’impôt acquitté à la source à l’étranger.

Imposition à la sortie

Empêcher les entreprises de délocaliser leurs actifs dans le seul but d’éviter l’impôt.

Il est proposé que tous les Etats membres appliquent une taxe de sortie (« exit tax ») sur les actifs transférés hors de leur territoire (sont tout particulièrement visés les actifs tels que la propriété intellectuelle ou les brevets). Un mécanisme d’étalement de l’imposition sur cinq ans en cas de transfert vers un autre Etat de l’UE ou de l’EEE est toutefois prévu.

Limitation des intérêts

Décourager les entreprises de mettre en place des montages d’endettement artificiels afin de réduire au minimum leurs impôts.

Le montant des intérêts nets qu’une entreprise peut déduire de son revenu imposable serait limité en prenant pour base un ratio fixe de ses bénéfices. Les coûts d’emprunt seraient toujours déduits à hauteur des intérêts ou autres revenus imposables provenant d’actifs financiers que le contribuable perçoit. Les surcoûts d’emprunt seraient, quant à eux, déductibles pendant l’exercice fiscal au cours duquel ils ont été supportés, mais uniquement à hauteur de 30 % de l’EBITDA ou de 1 000 000 €, le montant le plus élevé étant retenu. Une clause de sauvegarde (en fonction des fonds propres du groupe) ainsi qu’un mécanisme de report de l’EBITDA et des intérêts excédentaires seraient prévus. Enfin, les entreprises financières ne seraient pas concernées par cette limitation.

Dispositifs hybrides

Empêcher les entreprises d’exploiter des asymétries nationales pour éluder l’impôt.

Lorsque deux Etats membres donnent une qualification juridique différente au même contribuable (entité hybride) ou au même paiement (instrument hybride) conduisant à une double non-imposition (double déduction ou déduction/exonération), alors la qualification juridique donnée à l’entité ou à l’instrument hybride par l’Etat membre à l’origine du paiement sera appliquée par l’autre Etat membre.

Clause anti-abus générale

Lutter contre la planification fiscale agressive lorsque d’autres règles ne s’appliquent pas.

Serait instaurée une règle anti-abus générale, très proche de la nouvelle clause anti-abus prévue par la directive mère-fille, visant les montages fiscaux non-authentiques, lorsqu’il n’existe pas d’autre règle anti-abus applicable spécifiquement à un tel montage.

Le projet de directive doit à présent être soumis au Parlement européen pour consultation, et au Conseil de l’Union européenne pour adoption. Aucune date limite de transposition n’est pour l’heure fixée.

Une recommandation sur les conventions fiscales

Il est conseillé aux Etats membres d’introduire dès à présent une clause anti-abus générale fondée sur le critère de l’objet principal des transactions ou des montages concernés dans leurs conventions fiscales (conformément au rapport final relatif à l’action 6 du plan BEPS : utilisation abusive des conventions). De la même manière, il leur est recommandé de faire usage de la nouvelle définition de l’« établissement stable », telle qu’elle résulte du rapport final de l’action 7 du plan BEPS (établissements stables).

Une révision de la directive sur la coopération administrative introduisant un système d’échange de déclarations pays par pays

La Commission entend doter les Etats membres de leur propre mécanisme de déclarations pays par pays, très proche du country-by-country reporting prévu par l’action 13 du plan BEPS.

La société mère d’un groupe multinational (ou d’une filiale désignée par le groupe) devra ainsi fournir des informations spécifiques sur l’ensemble du groupe à l’autorité fiscale de son Etat membre de résidence. Ces informations devront inclure le chiffre d’affaires, les bénéfices, les impôts sur les bénéfices acquittés et dus, les bénéfices non distribués, le nombre de salariés et certains actifs de chaque société du groupe. La société mère devra recenser tous les pays où le groupe est présent et les activités exercées dans chacun d’eux. Ce rapport sera ensuite envoyé automatiquement aux autorités fiscales de tous les Etats membres où le groupe multinational réside à des fins fiscales ou est assujetti à l’impôt.

Ce sera aux Etats membres de déterminer le régime des sanctions applicables en cas de non-respect de l’obligation nouvelle. Il leur faudra adopter et publier, au plus tard le 31 décembre 2016, l’ensemble des dispositions nécessaires à la transposition de la directive. Les premiers échanges auront lieu à compter de 2017, sur les informations concernant l’année 2016.

La question de la publicité des déclarations pays par pays est en cours d’arbitrage et la question devrait être tranchée en avril, l’adoption de la Directive étant annoncée pour le 25 mai 2016.

Une communication sur une stratégie extérieure pour une imposition effective

Les critères de bonne gouvernance fiscale sont mis à jour, alignés sur la norme mondiale en matière de transparence, et rendus conformes aux mesures BEPS de l’OCDE pour une concurrence fiscale loyale. Est également prévue la création d’une liste noire commune à toute l’Union européenne.

 

Photo de Clara Maignan
Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.