Le Conseil d’État se prononce sur les conditions de déduction des provisions constituées par l’associé, personne morale soumise à l’IS, de sociétés civiles relevant du régime des sociétés de personnes.
L’histoire
Une SCI ayant opté pour son imposition à l’IS a fait l’objet d’une vérification de comptabilité au titre des exercices 2013 et 2014, à l’issue de laquelle l’Administration a remis en cause la déduction de diverses provisions :
- Des provisions pour créances douteuses constatées à raison d’avances accordées à 2 SCI relevant, elles, du régime des sociétés de personnes ;
- Des provisions pour dépréciation des titres détenus dans le capital d’une société civile d’exploitation agricole (SCEA), relevant également du régime des sociétés de personnes, ainsi que des provisions pour créances douteuses détenues sur cette même société.
La décision du Conseil d’État
Le Conseil d’État prend, en 1er lieu, le soin de rappeler les spécificités des modalités d’imposition des associés d’une société civile relevant du régime des sociétés de personnes.
Il indique ainsi qu’en application des dispositions des articles 8 et 218 bis du CGI, les associés de telles sociétés sont personnellement soumis à l’IR ou à l’IS pour la part des bénéfices sociaux correspondant à leurs droits dans ces sociétés.
Aussi, lorsque ces associés sont imposables par application des règles relatives aux BIC, ils doivent prendre en compte, à la clôture de leurs propres exercices, comme un profit imposable ou comme une charge déductible, la part qui leur revient dans les résultats bénéficiaires ou déficitaires de la société civile.
Pour autant, cette règle ne fait pas, par elle-même, obstacle à ce que l’associé d’une société civile immobilière constitue, dans les conditions prévues à l’article 39,1,5° du CGI, une provision pour tenir compte du risque de perte d’une créance qu’il a consentie à cette société.
Il décline ensuite ces principes au cas d’espèce.
Sur les provisions pour créances douteuses détenues sur les SCI relevant du régime des sociétés de personnes
Pour confirmer le redressement et écarter la déductibilité des provisions litigieuses, les juges d’appel s’étaient, en substance, fondés sur la circonstance que le risque, pour la société requérante, de perdre les créances constatées à raison d’avances accordées au profit des 2 SCI, était indissociable des pertes qui avaient vocation à être constatées dans les écritures de ces 2 SCI, et dont, en tant qu’associée, il lui revenait d’imputer la part correspondant à ses participations sur ses propres résultats (en ce sens, CE, 3 juin 1994, n°123220, Société auxiliaire d’investissement et CE, 1er avril 2005, n°254319, Société Martell).
Le Conseil d’État censure, pour erreur de droit, ce raisonnement, faisant grief à la Cour de n’avoir pas recherché si les provisions litigieuses remplissaient les conditions de déductibilité posées par l’article 39,1,5° du CGI.
Il lui fait également grief de s’être fondé sur l’absence de justification du caractère douteux des créances, faute qu’il soit établi que l’autre associé des SCI n’était pas en capacité de faire face au paiement des dettes sociales.
Le Conseil d’État souligne, à cet égard, que par application des dispositions de l’article 1857 du Code civil, l’obligation aux dettes des associés d’une société civile ne vaut que pour les dettes à l’égard des tiers, et non des associés (il semble ici que les juges du fond s’étaient fondés sur une décision du CE, 27 novembre 1974, Société Constructions générales et fondations, n°91410, antérieure à la réforme opérée par la loi du 4 janvier 1978, relative aux obligations des associés de sociétés civiles).
Enfin, le Conseil d’État rappelle qu’en raison de la nature et du fonctionnement du compte courant d’associé, les sommes inscrites au crédit d’un tel compte présentent la caractéristique essentielle, en l’absence de convention particulière ou statutaire régissant ce compte, d’être remboursables à tout moment (principes dégagés par CE, 8 novembre 2024, n°470887). Aussi, de telles avances ne sauraient être assimilées à des aides à caractère financier, non déductibles en application des dispositions de l’article 39,13 du CGI.
Sur les provisions pour dépréciation de la participation détenue dans une société civile d’exploitation agricole (SCEA) et pour créances douteuses détenues sur cette même société
L’Administration contestait la déduction de ces provisions sur un terrain différent : elle se fondait ici sur les dispositions de l’article 39,4 du CGI, qui s’opposent à la déduction des charges résultant de l’achat, de la location ou de toute autre opération faite en vue d’obtenir la disposition de résidences de plaisance ou d’agrément, ainsi que l’entretien de ces résidences.
L’Administration arguait, à cet égard, que la SCEA n’avait pas de finalité économique et que son objet réel était de constituer, au profit de ses associés, un vaste domaine à usage d’agrément.
Le Conseil d’État juge que les dispositions de l’article 39,4 du CGI auraient permis de s’opposer à la déduction, par la SCEA elle-même, des charges afférentes à ce domaine, mais non de faire obstacle aux provisions constituées par les associés de cette société.
L’affaire est donc renvoyée, dans son ensemble, pour jugement au fond à la CAA.