Délai de réclamation : incidences d’un redressement irrégulièrement notifié et de la suspension du délai de prescription découlant de la crise sanitaire et sociale liée au COVID-19

Rappel

La juridiction administrative ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision dans un délai de 2 mois suivant la notification ou la publication de la décision attaquée (CJA, art. R. 421-1).

Ce délai de recours contentieux de 2 mois ne peut courir à l’encontre d’un administré tant qu’une décision expresse de rejet de sa réclamation ne lui a pas été régulièrement notifiée, c’est-à-dire comportant la mention des délais et voies de recours (CJA, art. R. 421-5), et non seulement un renvoi aux textes applicables en termes de délais et voies de recours.

Dans une décision Czabaj, le Conseil d’État a jugé, en 2016, qu’une décision administrative individuelle ne saurait être contestée indéfiniment, même lorsqu’elle ne comporte pas la mention des voies et délais de recours prescrits par le CJA. En pareille hypothèse, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un « délai raisonnable », fixé – sauf circonstances particulières – à 1 an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance (CE, 13 juillet 2016, n°387763, Czabaj).

Cette règle, dégagée en matière de contentieux général a ensuite été transposée au contentieux fiscal (CE, 31 mars 2017, min c/ M. A, n°389842). Le Conseil d’Etat y a notamment jugé que, dans le cas où le recours juridictionnel doit obligatoirement être précédé d’un recours administratif, celui-ci doit être exercé dans un délai raisonnable, c’est-à-dire dans le délai prévu par les articles R. 196-1 ou R. 196-2 du LPF (délais de réclamation de droit commun), prolongé d’un an, sauf à ce que le contribuable puisse justifier de circonstances particulières.

L’histoire

Un contribuable s’est vu adresser, en décembre 2017, une proposition de rectification en matière d’IR au titre des années 2014 et 2015.

Il a contesté les suppléments d’imposition par le biais d’une réclamation introduite le 9 juin 2021, que l’Administration a considérée comme étant tardive.

En effet, en application des dispositions de l’article R. 196-3 du LPF, dans le cas où un contribuable fait l’objet d’une procédure de reprise ou de redressement de la part de l’Administration, il dispose alors d’un délai égal à celui de l’Administration pour présenter ses propres réclamations, lequel expirait ici, en matière d’IR, le 31 décembre de la 3e année suivant celle au cours de laquelle la proposition de rectification lui a été régulièrement notifiée (donc, en principe, le 31 décembre 2020).

Le contribuable a alors contesté le rejet de sa réclamation sur un double fondement, en se prévalant, d’une part, de la circonstance selon laquelle la proposition de rectification ne faisait pas mention du caractère obligatoire de la réclamation préalable, et, d’autre part, de la suspension du délai de prescription découlant de la crise sanitaire et économique liée au Covid-19.

La décision de la CAA de Lyon

Sur l’absence de mention sur la proposition de rectification du caractère obligatoire de la réclamation préalable

LA CAA de Lyon juge que les avis d’imposition afférents aux impositions supplémentaires sur les revenus et aux prélèvements sociaux des années 2014 et 2015 ne peuvent pas être regardées comme ayant permis au contribuable d’avoir été dûment informé du caractère obligatoire de la réclamation préalable, ainsi que des délais impartis pour la présenter en application des articles R. 196-1 à R. 196-3 du LPF.

De la sorte, la réclamation ayant été présentée dans le délai raisonnable prévu par la jurisprudence en pareille hypothèse (délai de réclamation applicable + 1 an, soit avant le 31 décembre 2021 au cas d’espèce), la Cour juge que le contribuable ne pouvait pas se voir opposer une quelconque tardiveté.

Sur l’incidence de la suspension des délais de prescription du droit de reprise de l’Administration découlant de la crise économique et sanitaire liée au Covid-19

Pour faire face à la crise sanitaire et économique liée au Covid-19, le Gouvernement a pris, en 2020, plusieurs ordonnances visant à aménager en conséquence les délais de procédures administratives et juridictionnelles.

En particulier, les délais de prescription du droit de reprise de l’Administration, lorsque la prescription devait être acquise au 31 décembre 2020, ont été suspendus du 12 mars 2020 jusqu’au 23 août 2020 inclus (article 10 de l’ordonnance n°2020-306).

En pratique, cela signifie que, lorsque la prescription était censée être acquise au 31 décembre 2020, l’Administration pouvait adresser des propositions de rectification jusqu’au 14 juin 2021.

Cela signifiait aussi, comme au cas d’espèce, qu’une proposition de rectification adressée au contribuable en décembre 2017, qui avait valablement interrompu la prescription triennale au titre de l’année 2014, devait être regardée comme ouvrant un nouveau délai triennal, expirant au 14 juin 2021, durant lequel l’Administration pouvait mettre en recouvrement les impositions supplémentaires.

La CAA de Lyon juge que, symétriquement, le délai spécial prévu à l’article R. 196-3 du LPF (accordant au contribuable ayant fait l’objet d’une procédure de reprise ou de redressement un délai égal à celui dont dispose l’Administration pour présenter ses propres observations), expirait également au 14 juin 2021 – de sorte que la réclamation introduite le 9 juin 2021 n’était pas tardive à cet égard.

Notons que cette décision est en ligne avec la doctrine administrative (BOI-DJC-COVID19-40-20, 1er mars 2021, § 10 à 30).

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.