Comme nous l’annoncions dans un précédent article, le Conseil d’Etat a rendu le 6 février un nouvel avis relatif aux effets des décisions du Conseil constitutionnel sur les délais de réclamations (numéros 425509, M. B et 425511, SAS Bourgogne Primeurs).
Le tribunal administratif de Dijon avait été saisi de deux requêtes portant, d’une part, sur les cotisations supplémentaires de contributions sociales (n° 2016-610 QPC du 10 février 2017) et, d’autre part, sur la CVAE due par les sociétés membres d’un groupe fiscalement intégré après la décision du 19 mai 2017 (n° 2017-629 QPC, Société FB Finance).
Par deux jugements du 19 novembre 2018, le tribunal a saisi le Conseil d’Etat de deux demandes d’avis.
La première demande visait à déterminer si une décision du Conseil constitutionnel qui énonce une réserve d’interprétation peut être regardée comme un événement, au sens du c) de l’article R.196-1 du LPF et, dans l’affirmative, si la période susceptible de faire l’objet d’une action en restitution à ce titre est limitée dans le temps et selon quelles règles.
La question posée dans l’affaire SAS Bourgogne Primeurs visait quant à elle notamment à déterminer si, lorsque le Conseil constitutionnel mentionne que la déclaration d’inconstitutionnalité est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à la date de publication de sa décision, un contribuable qui a présenté une réclamation contentieuse postérieurement à cette date est fondé à se prévaloir de cette décision et, dans cette hypothèse, si la période susceptible de faire l’objet d’une action en restitution est limitée dans le temps et selon quelles règles.
Dans sa demande d’avis portant sur les effets, sur les délais de réclamation, des déclarations de conformité assorties de réserves, le tribunal avait, fort opportunément, relevé que les dispositions de l’article 62 de la Constitution, qui permettent au Conseil constitutionnel de définir les conséquences des déclarations d’inconstitutionnalité, ne s’appliquaient pas.
Le Conseil d’Etat a précisé, sans s’appuyer sur un texte particulier, qu’il revient au Conseil constitutionnel, comme pour les déclarations d’inconstitutionnalité, lorsqu’il déclare qu’une disposition contestée devant lui est conforme à la Constitution sous la réserve qu’il en soit fait application conformément à l’interprétation qu’il en donne, de préciser, le cas échéant, les conséquences de sa décision.
Il faut se souvenir qu’à l’occasion de la première réserve d’interprétation formulée sur une disposition soumise à l’examen du Conseil constitutionnel à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), les commentaires aux cahiers sous cette décision avaient indiqué qu’une réserve étant interprétative, elle était d’application immédiate à toutes les affaires non jugées définitivement à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel (décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010). Dans ces conditions, la conclusion à laquelle parvient la Haute Assemblée dans ses avis M. B et SAS Bourgogne Primeurs ne doit pas surprendre.
Partant de ce principe, le Conseil d’Etat a ensuite étendu la solution dégagée dans son avis SCI Maximoise de Création et Aegir (numéros 424819, SCI Maximoise de Création et 424821, SAS Aegir). Il a ainsi estimé qu’une décision par laquelle le Conseil constitutionnel, statuant sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution, déclare inconstitutionnelle une disposition législative ayant fondé l’imposition litigieuse ou ne l’a déclarée conforme à la Constitution que sous une réserve d’interprétation ne constitue pas, en elle-même, un tel événement susceptible d’ouvrir un nouveau délai de réclamation.
Dans ces situations, il n’appartient qu’au Conseil constitutionnel de prévoir si, et le cas échéant dans quelles conditions, les effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration sont remis en cause, au regard des règles, notamment de recevabilité, applicables à la date de sa décision.
A la suite du premier avis SCI Maximoise de Création et Aegir, nous nous étions interrogés sur la portée des différences rédactionnelles employées par le Conseil constitutionnel lorsqu’il fixe les effets de ses décisions. La Haute Assemblée n’a pas tardé à apporter des éléments de réponse. En effet, de manière inédite, elle indique que, lorsque le Conseil constitutionnel précise, dans une décision déclarant une disposition législative contraire à la Constitution, que cette déclaration d’inconstitutionnalité est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à la date de publication de sa décision, cette déclaration peut être invoquée dans toutes les procédures contentieuses en cours, quelle que soit la période d’imposition sur laquelle porte le litige. Elle peut l’être aussi à l’appui de toute réclamation encore susceptible d’être formée eu égard aux délais fixés par les articles R. 196-1 et R. 196-2 du livre des procédures fiscales (LPF).
Ainsi, il résulte clairement de cet avis du 6 février 2019 que la formulation par laquelle le Conseil constitutionnel indique que la déclaration d’inconstitutionnalité est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à la date de publication de sa décision, alors même qu’elle ne fait pas référence au respect des délais de réclamation prévus par le LPF, ne saurait constituer un événement susceptible d’ouvrir un nouveau délai de réclamation aux contribuables.
Il semble donc qu’aucune des formulations actuellement retenues par le Conseil constitutionnel, lorsqu’il se prononce sur les effets de ses décisions, ne soit susceptible de constituer un événement de nature à ouvrir un nouveau délai de réclamation au contribuable.
Il est plus que probable que les juridictions du fond vont suivre et mettre en œuvre les principes énoncés dans les avis des 11 janvier et 6 février 2019 pour rejeter les centaines de requêtes actuellement pendantes devant elles. S’il est mis fin aux espoirs que de nombreux justiciables et leurs conseils avaient pu nourrir depuis quelques années, il faut saluer malgré tout l’initiative prise par deux tribunaux administratifs de solliciter le Conseil d’Etat pour avis. Leur démarche évite, en effet, alors que les tribunaux et les cours apparaissaient divisés sur ces questions, de devoir attendre encore de longues années avant d’être fixés sur la règle applicable.
On rappellera enfin que, lorsqu’une QPC est transmise par le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel se prononce dans les trois mois suivant sa saisine. Les contribuables, pour préserver leurs droits et les délais de réclamation, auront donc intérêt à déposer une réclamation, sans attendre la décision du Conseil constitutionnel, en particulier lorsque des QPC seront transmises en fin d’année civile et donneront lieu à une décision l’année suivante.