Le Conseil d’Etat vient de confirmer le caractère abusif de la réalisation d’une distribution exceptionnelle de dividendes concomitante à une émission d’ORA souscrites par le bénéficiaire de cette distribution, dans le seul but de déduire des charges financières en France.
Au cours de l’année 2003, dans le cadre d’une restructuration interne, une société américaine constitue une filiale danoise détenue à 100 %, en vue de détenir et gérer l’ensemble des participations du groupe en Europe. Dans ce cadre, en décembre 2003, elle cède à cette filiale danoise sa participation de plus de 99 % dans sa filiale française. L’acquisition de cette société française par la société danoise a été financée par un emprunt d’un montant de 315 M€. Le 29 décembre 2003, la société française décide par décision de son assemblée générale de procéder de façon concomitante à :
- une distribution exceptionnelle de dividendes de 317 M€ par prélèvement sur le poste « autres réserves », dont 315 M€ au bénéfice de la société danoise, son nouvel actionnaire
- l’émission d’obligations remboursables en actions (ORA) pour un montant là encore de 317 M€, souscrites à hauteur de 315 M€ par la société danoise. Ces obligations, émises pour une durée de 7 ans, sont rémunérées conformément au contrat d’émission, par un intérêt fixé à un taux de marché, leur montant étant toutefois plafonné pour chaque exercice à la somme algébrique des résultats comptables de la société émettrice française et de ses filiales détenues à plus de 95 %
Deux jours plus tard, la société danoise rembourse sa dette d’acquisition à la société américaine en lui transférant les ORA souscrites.
L’administration fiscale est venue remettre en cause, sur le fondement de l’article L. 64 du LPF, la déduction par la société française des intérêts rémunérant les ORA, au motif que « la décision de procéder concomitamment à une distribution exceptionnelle de dividendes prélevés sur les réserves et à une émission d’ORA pour le même montant avait été prise dans le seul but de faire naître des charges d’intérêts déductibles pour la société […] et d’atténuer ainsi sa charge fiscale ».
Le Conseil d’Etat rejette le pourvoi formé par la société contre la décision de la CAA de Versailles (3 novembre 2016, n° 15VE00355, SAS Manpower France Holding) et souligne le caractère exclusivement fiscal des opérations.
Il relève notamment :
- l’existence d’une économie fiscale, les décisions concomitantes de distribution d’un dividende et d’émission d’ORA ayant en effet permis à la société française de déduire les charges financières et ainsi d’atténuer sa charge d’impôt
- l’absence de changement à l’issue des opérations à la fois dans l’actionnariat de la société française et dans la structure de ses fonds propres (les ORA faisant partie des fonds propres de l’entreprise) pour une durée limitée de 7 années
- l’absence de mouvement financier, du fait de l’extinction par compensation de la dette de libération des ORA et de la créance de dividendes
- et le manque de preuve apportée par la société pour démontrer l’existence d’un intérêt autre que fiscal à avoir procédé de façon concomitante aux opérations de distribution de réserves et d’émission d’ORA plutôt qu’à l’émission directe de nouveaux titres de capital en procédant à l’incorporation de ces réserves
Cette décision n’est pas sans rappeler la solution précédemment retenue par le Conseil d’Etat selon laquelle était constitutive d’abus de droit la réalisation concomitante, par une société, de 2 opérations d’un montant proche, de distribution exceptionnelle de réserves au profit de son actionnaire unique et d’émission d’obligations remboursables en actions (CE, 10e et 9e ch., 13 janvier 2017, n° 391196, SAS Ingram Micro et CE, 3e et 8e ch., 19 juillet 2017 n° 408227, Sté Ingram Micro).
Par ailleurs, on notera que le Conseil d’Etat profite de cette nouvelle affaire, pour relever, que la cour « n’avait pas à rechercher si les intérêts versés à la société [de droit américain] avaient été imposés aux Etats-Unis », et ainsi préciser, comme le suggérait le rapporteur public dans ses conclusions, le caractère « inutile au raisonnement » de cet argument.
S’agissant de la seconde condition de l’abus de droit par fraude à la loi que constitue l’application littérale de la loi fiscale en contrariété avec l’objectif de ses auteurs, cette dernière a été regardée comme étant satisfaite par le Conseil d’Etat.
On retiendra que le Conseil d’Etat a pris le soin de réitérer le principe de liberté de gestion des entreprises dans le choix de leur mode de financement et de préciser que le choix de financer une distribution de dividendes en recourant à l’emprunt n’était pas, en lui-même, constitutif d’un abus de droit.