Cet article a initialement été publié dans Echanges Internationaux (le Magazine du Comité Français de la Chambre de Commerce Internationale) du 1er septembre 2018, et est reproduit sur notre blog avec l’accord de l’éditeur.
En matière fiscale, les mesures à portée extraterritoriale sont en rupture avec la volonté de coordonner les dispositifs fiscaux nationaux dans un cadre multilatéral afin de limiter ces effets d’extraterritorialité et les doubles impositions. Illustration à partir de deux exemples concrets : l’organisation opérationnelle et les profits du numérique.
À quelques années d’intervalle, le paysage fiscal international a été transformé par deux modifications majeures : les recommandations de l’OCDE associées à son projet BEPS (Base Errosion and Profit Shifting : les rapports de l’OCDE présentant les recommandations issues de ces travaux ont été rendus publics fin 2015) et la réforme de la fiscalité américaine. Elles sont le fruit d’une forte pression exercée sur les ressources publiques par le choc de la crise financière de 2008 et traduisent les tentatives des gouvernements pour enrayer la baisse de leurs recettes budgétaires.
Dans ce contexte de changements importants, la tentation est grande de recourir à des mesures à portée extraterritoriale. La lutte contre la fraude fiscale est mise en avant comme l’un des objectifs majeurs des gouvernements en contrepartie de mesures difficiles à faire accepter. Mais les gouvernements doivent aussi réagir aux révélations internationales médiatisées de schémas d’évasion fiscale.
Deux exemples permettent d’illustrer cette approche nouvelle, conduisant les États à développer leur propre arsenal destiné à traiter les opérations transfrontalières des groupes internationaux : la méthode choisie par certains pays pour remettre en cause les réorganisations opérationnelles des groupes et la taxation unilatérale de certaines activités numériques retenue par plusieurs pays.
Les réorganisations opérationnelles contestées
Les entreprises multinationales ont jusqu’à présent pu choisir leur organisation opérationnelle et l’adapter en fonction de leurs besoins, des impératifs de leurs marchés ou des évolutions propres à leur secteur d’activité. Les administrations ont observé que certains opérateurs se livraient à des réorganisations de papier, transformant les relations intragroupes de leurs filiales en ajustant les contrats qui les lient, sans que ces modifications correspondent pour autant à la réalité opérationnelle des activités.
Les administrations qui doutent de la réalité de ces réorganisations cherchent à les contester. Elles le font généralement en recherchant les informations nécessaires, tant dans la société objet du contrôle fiscal qu’auprès de leurs partenaires étrangers, par le jeu des échanges de renseignements entre administrations. Certains pays ont préféré avoir recours à la détermination de critères objectifs qui, s’ils sont réunis, permettent la remise en cause de la réorganisation du groupe, alors considérée comme anormale. Les groupes se voient ainsi imposer, par la volonté d’un seul pays, les schémas d’organisation auxquels ils peuvent recourir pour restructurer leurs opérations dans le monde s’ils veulent échapper aux critiques d’une administration fiscale.
L’épineuse question des profits numériques
Les activités du secteur numérique, en constant développement, permettent parfois de réaliser des profits substantiels rapidement et peuvent être développées sans présence matérielle conséquente auprès des consommateurs. Les caractéristiques de ces nouvelles activités sont particulières, notamment la forte dématérialisation des moyens de production et de commercialisation (serveurs délocalisés, personnels hors des frontières, services rendus depuis l’étranger). Ces caractéristiques sont difficiles à concilier avec les règles et principes de fiscalité actuels, historiquement conçus pour traiter des activités plus concrètes. Les administrations, démunies pour appréhender ce type d’activités, redoutent que certains opérateurs pilotent leurs résultats en délocalisant leur base imposable dans des territoires à faible fiscalité.
Les gouvernements de plusieurs pays ont eu recours ces derniers mois à des taxations nationales spécifiques, ciblant ces activités dématérialisées afin de capter les résultats issus du développement de l’activité sur leur territoire. Ainsi, une activité réalisée dans un pays depuis un autre pays dans lequel le résultat serait déclaré, sera soumise à l’impôt dans le premier pays à l’aide de ces dispositifs d’exception. Ces derniers conduisent de surcroît à une double imposition potentielle, sans possibilité de l’éliminer puisque la nature de cette taxe spécifique n’est souvent pas couverte par les conventions signées par les pays pour éliminer les doubles impositions.
Ces deux exemples illustrent les forces à l’oeuvre. Elles conduisent à une rupture, récente en matière fiscale, avec la coordination des dispositifs fiscaux nationaux dans un cadre multilatéral limitant ces effets d’extraterritorialité et les doubles impositions. Un mouvement qui pourrait s’amplifier encore dans les années à venir, dans le cadre du durcissement général des législations fiscales.