Fiscalité de l’innovation : panorama 2022 des évolutions législatives et jurisprudentielles des régimes CIR et IP box

Cet article a été publié dans Option Finance et est reproduit sur ce blog avec l’accord de l’éditeur.

La fiscalité de l’innovation est à un âge de maturité et demeure un point clé de la compétitivité du coût de l’ingénieur ou du chercheur français. Le dispositif CIR, de plus en plus mature, continue d’être précisé par voie jurisprudentielle, avec des attentes croissantes en matière de qualité et traçabilité des preuves. Le début des contrôles fiscaux en matière d’IP Box permettra certainement d’affiner certains points de doctrine dans les années à venir.

LF 2023 : reconductions et extensions

  • Prolongation du statut de Jeune Entreprise Innovante jusqu’au 31 décembre 2025.
    Pour les entreprises crées à compter du 1er janvier 2023, la durée du statut JEI sera réduite à 8 ans (vs 11 ans pour les entreprises crées antérieurement).
  • Prorogation du crédit d’impôt « Nouvelles Collections » jusqu’au 31 décembre 2024.
  • Extension du champ d’application du mécanisme d’étalement des subventions publiques
    Le bénéfice du régime d’étalement des subventions d’équipement (CGI, art 42 septies) est étendu aux sommes versées par les organismes créés par les institutions de l’UE, et pourra désormais concerner les sommes versées dans le cadre du dispositif des certificats d’économie d’énergie.
    Enfin, le régime d’étalement des aides à la recherche (CGI, art. 236) est élargi aux sommes versées par l’UE ou par les organismes créés par ses institutions.

Panorama de jurisprudences CIR

Eligibilité des projets de recherche

L’éligibilité des projets de « sciences molles » est régulièrement discutée. Le Conseil d’Etat juge que les recherches menées dans le domaine du droit ne sauraient par principe être exclues du bénéfice du CIR, mais conclut que sont inéligibles les dépenses de personnel afférentes à une doctorante en droit, salariée d’une société d’avocats, qui menait des recherches sur les particularités de la procédure de divorce. Ces travaux, qui avaient pour objet l’identification de dispositions juridiques applicables et l’analyse d’une pratique existante ne répondaient pas aux critères d’éligibilité au CIR (nouveauté, créativité, existence de verrous, démarche expérimentale et caractère transférable ou reproductible).

Le fait que les travaux aient été réalisés dans le cadre d’une thèse en droit éligible au dispositif Cifre, n’est pas en soi suffisant pour démontrer l’éligibilité du projet.

La CAA de Nantes rejette l’éligibilité d’un projet au CIR car ses résultats n’avaient pas conduit à l’obtention d’améliorations substantielles. La Cour cite l’expert du MESRI qui relevait que le projet n’a pas conduit à la véritable levée des verrous rencontrés, et que les résultats ne sont ni significatifs, ni palpables compte tenu des obstacles qui continuent à exister. Elle relève également qu’aucune publication ou article scientifique n’est mentionné, qu’aucun brevet n’est en cours de préparation et qu’aucune collaboration avec des laboratoires de recherche n’a eu lieu.

La Cour nous semble avoir méconnu les textes relatifs au CIR qui prévoient que les projets éligibles doivent viser (« en vue de » selon les termes de l’art. 49 septies F de l’annexe III au CGI) une amélioration substantielle, pas nécessairement l’obtenir. L’absence de résultat n’est pas un critère légal permettant d’exclure un projet, même conjuguée à l’absence d’indicateurs d’éligibilité (brevets, collaborations, publications.

Dépenses de personnels

Les versements effectués au titre de contrats de mutuelle et de prévoyance souscrits par une entreprise en faveur de ses salariés ne constituent pas des cotisations sociales obligatoires en l’absence d’accord (ou de projet d’accord) collectif ou de décision unilatérale de l’employeur.

Cette décision concernait des cotisations versées en 2012 et 2013. Depuis 2016, la loi rend obligatoire la souscription par les entreprises d’une complémentaire santé (mutuelle) en faveur de leurs salariés. En revanche, le versement de cotisations de prévoyance n’est pas obligatoire par la loi mais peut l’être en vertu d’une convention collective, d’un accord de branche, d’un accord d’entreprise ou encore d’une décision unilatérale de l’employeur. Dans tous les cas, il restera essentiel pour les entreprises de conserver les documents qui fondent le caractère obligatoire de ces versements afin de justifier leur éligibilité au CIR.

Afin de justifier les temps déclarés en 2013, la société s’appuyait sur un tableau recensant les temps consacrés par les salariés au titre des opérations de recherche. Mais en l’absence de logiciel de suivi des temps, ce tableau résultant de « simples estimations » est considéré comme non probant. Pour le calcul du CIR de 2015, la société avait mis en place un système de suivi des temps. Cependant, la Cour rejette une partie des dépenses de personnel correspondant à des activités jugées non éligibles (tests opérés chez les clients, mise en route du procédé de production, rédaction d’une documentation pour les utilisateurs finaux, travaux menés pour adapter les produits aux normes législatives et réglementaires, projets externes, travaux de commercialisation, et travaux administratifs et de support, activités de formation).

  • CAA de Versailles, 16/12/2022, 21VE001943, Maidis

Les dépenses de personnels d’une société, non agréée au CIR, et relatives un projet de R&D réalisé dans le cadre d’un contrat de prestation de services pour une entreprise tierce sont valorisables au CIR (peu important donc qu’elles aient été intégralement refacturées).

Travaux de recherche externalisés

Eligibilité de prestations de service en régie, justifiées précisément par le système de suivi des temps de la société donneuse d’ordre, sur lequel pointaient les ingénieurs salariés de la société sous-traitante.

Sont éligibles les opérations de mise à disposition de matériels nécessaires à l’entreprise pour mener à bien ses essais, quand bien même ces dépenses prises isolément ne constitueraient pas des opérations de recherche.

CIR des sociétés agrées

Lorsqu’une entreprise répond à la commande d’un donneur d’ordres, sa contribution ne peut être regardée comme éligible au CIR si elle n’a pas, avant d’engager ses travaux, identifié l’état de l’art existant et les verrous technologiques à lever.

Le donneur d’ordre restant propriétaire des productions réalisés par le sous-traitant, ce dernier ne peut inclure dans la base de calcul de son CIR les dépenses exposées pour réaliser les opérations de recherche confiées, quand bien même le donneur d’ordres renoncerait volontairement au bénéfice de ce crédit d’impôt.

Cette décision rappelle que les critères d’éligibilité s’appliquent aux travaux réalisés par le sous-traitant déclarant du CIR, et non au projet dans son ensemble.

Subventions

La CAA de Paris (arrêt frappé d’un pourvoi devant le Conseil d’Etat) juge que doivent être regardées comme constituant une subvention publique au sens du CIR, et déduites de l’assiette de ce crédit d’impôt, toute les aides versées par des autorités administratives ou par des organismes privés investis d’une mission de service public, en vue ou en contrepartie d’un projet de recherche, et qui proviennent de l’utilisation de ressources perçues à titre obligatoire et sans contrepartie.

Expertise

Si le rapport de l’expert du MESRI souligne des ambiguïtés et insuffisances dans le dossier qui lui est soumis, et qu’il n’a pas fait de demande de justificatifs ou d’informations complémentaires, alors la société a été privée des garanties prévues aux articles L45 B et R 45 B-1 du LPF, entrainant l’annulation du redressement.

CIR et report en arrière des déficits

Les bénéfices ayant donné lieu à un impôt payé au moyen du CIR, quel que soit l’exercice au cours duquel ce crédit d’impôt est né (i.e. même exercice ou exercice précédent), doivent être retranchés du bénéfice d’imputation pour l’application du mécanisme de report en arrière des déficits (CGI, 220 quinquies).

Agrément des entreprises sous-traitantes au CIR

Pour être éligibles au CIR les opérations de sous-traitance doivent être confiées à des sociétés agréés par le ministère de la recherche.

Le décret n°2021-784 du 18 juin 2021 prévoit que devront être jointes à la demande d’agrément les pièces justificatives attestant « que dans l’année précédant sa demande le sous-traitant a mené sous sa responsabilité des opérations de recherche scientifique et technique, dont il a défini la démarche scientifique et réalisé les travaux avec ses propres moyens ». Cette nouvelle condition, non prévue par la loi, rend l’obtention des agréments plus difficile, et l’on constate dans la pratique des rejets de plus en plus fréquents.

Guide CIR 2022

On notera une refonte des commentaires sur l’éligibilité des projets en pharmacie humaine et animale (suppression du tableau d’éligibilité des étapes d’essais cliniques ; éligibilité des études de phase IV interventionnelles ; nouveau tableau d’éligibilité des fonctions…) et une simplification de la procédure d’agrément pour les experts individuels.

CICo

Avec la parution des décrets du 15 juillet 2022, définissant les conditions d’application du CICo, ce nouveau crédit d’impôt est désormais opérationnel.

Les commentaires de l’administration et des précisions complémentaires et pratiques, par exemple sur l’articulation CIR/CICo, le bénéfice du CICo aux contrats d’applications postérieurs au 1er janvier 2022 de contrats-cadres antérieurs à cette date, ou encore sur les modalités pratiques du calcul – notamment en ce qui concerne la déduction des subventions, sont toujours impatiemment attendues.

IP box

La loi de finances pour 2023 a très légèrement amendé le dispositif fiscal de faveur des droits de propriété industrielle et assimilés codifié à l’article 238 du CGI.

Les dispositions de l’article 238, I-5° du CGI qui prévoyaient l’imposition au taux réduit des revenus issus des inventions brevetables non brevetées sont abrogées. Cette abrogation entre en vigueur pour l’IS dû au titre des exercices clos à compter du 31 décembre 2022.

Cette mesure a en pratique une portée limitée, puisque seules les entreprises qualifiant de PME pouvaient bénéficier du taux réduit au titre de ces inventions brevetables non brevetées, dont la brevetabilité devait par ailleurs être certifiée par l’INPI.

Le régime « IP Box » n’a pas fait l’objet d’autres amendements ou de nouveaux commentaires administratifs.

Lucille Chabanel

Lucille intervient depuis plus de 14 ans au sein du département Fiscalité des Entreprises. Rattachée à la ligne de services R&D depuis 2006, elle a développé une forte expertise dans […]

Photo de Jean-Charles Reny
Jean-Charles Reny

Jean-Charles, Avocat, est associé de la ligne de service « R&D » (GI3) du cabinet. Après avoir géré des problématiques fiscales pour de grands groupes internationaux (M&A, Supply Chain, ou […]

Béatrice Prim

Béatrice, Avocate Directeur rattachée à l’équipe R&D depuis 2010, conseille ses clients en matière de CIR (sécurisation, défense lors des contrôles fiscaux) et coordonne des missions sur les régimes incitatifs à […]