Immobilisation des intérêts versés à l’occasion d’une acquisition de titres

Le Conseil d’État juge que les intérêts versés par l’acquéreur, en considération de la date de transfert de propriété des titres prévue par les stipulations contractuelles, ne constituent pas la rémunération d’un délai de paiement mais un élément du coût d’acquisition des titres à immobiliser.

Rappel

L’article 38 quinquies de l’annexe III au CGI dispose que les immobilisations acquises à titre onéreux sont inscrites à l’actif du bilan pour leur coût d’acquisition. Cette valeur correspond au prix d’achat majoré des frais accessoires nécessaires à la mise en état d’utilisation du bien.

Notons que les éléments constitutifs du coût d’acquisition des immobilisations peuvent être au choix du contribuable soit (i) incorporés au coût d’acquisition de l’immobilisation à laquelle ils se rapportent soit (ii) déduits immédiatement en charge. Cette liberté ne s’applique en revanche pas aux frais liés à l’acquisition de titres de participation – limités aux droits de mutation, honoraires, commissions et frais d’actes – qui doivent obligatoirement être incorporés au prix de revient des titres pour les entreprises soumises à l’IS (CGI, art. 209, VII) et amortis sur une durée de 5 ans.

Les faits

En 2001, un groupe français et un groupe allemand mettent en commun certaines de leurs activités via la création d’une filiale commune, détenue à 34 % par le groupe allemand et 66 % par le groupe français. Dans ce cadre, un pacte est conclu entre les deux sociétés actionnaires prévoyant des options de vente et d’achat portant sur les titres de la filiale commune.

En janvier 2009, conformément à ce pacte d’actionnaires, l’actionnaire allemand annonce son intention de vendre ses titres de la filiale commune par l’exercice de son option de vente.

De façon concomitante, les actionnaires :

  • Procèdent à une augmentation de capital de la filiale commune à proportion des droits que chacun détenait dans le capital de cette dernière ;
  • Signent un accord prévoyant que cette augmentation de capital serait intégralement remboursée par l’actionnaire français à l’actionnaire allemand à la date de la cession des titres de la filiale commune, soit au plus tard en 2012.

Dans le cadre des différents accords, il était par ailleurs prévu que la société française cessionnaire des titres de la filiale commune procède au versement au profit de la société allemande cédante d’intérêts financiers au titre de 2 périodes distinctes à des taux différenciés. Des intérêts étaient ainsi prévus :

  • d’une part, dans le pacte d’actionnaires, au titre de la période séparant la date d’exercice de l’option de vente par la société cédante et la date de paiement de la vente des titres de la filiale commune;
  • d’autre part, dans l’accord sur l’augmentation de capital de la filiale commune, sur la période séparant la date de l’augmentation de capital de celle de son remboursement au bénéfice de la société cédante lors du paiement du prix d’acquisition des titres de la filiale commune.

Faute d’accord sur la valeur de la filiale commune, le prix de cession des titres n’a finalement été versé qu’en 2011.

Dans le cadre de la comptabilisation des titres acquis de la filiale, la société française n’a pas inclus dans le coût d’acquisition les frais financiers (i.e. intérêts) supportés et dus à la société allemande par application des accords précités. A la clôture de l’exercice 2009, elle avait provisionné ces charges et les a comptabilisées en charges financières au cours de l’exercice 2011.

À la suite d’une vérification de comptabilité de la société française, au titre des exercices 2010 à 2012, l’Administration a remis en cause la déduction de ces charges financières en considérant que ces sommes auraient dû être immobilisées en tant qu’élément constitutif du coût d’acquisition des titres.

La société n’ayant pas obtenu gain de cause auprès des juges du fond (CAA Paris, 26 janvier 2022, n°20PA03705), elle a porté le litige devant le Conseil d’État.

La décision

Le Conseil d’État rejette le pourvoi de la société et juge qu’en raison de la date de transfert de propriété des titres, les intérêts en cause constituent un élément du prix d’acquisition des titres devant être immobilisé en application des dispositions de l’article 38 quinquies de l’annexe III au CGI.

Pour trancher en ce sens, le Conseil d’État relève qu’il résulte des stipulations du pacte d’actionnaires et de l’accord sur l’augmentation de capital, que le transfert de propriété des titres n’est devenu effectif qu’à la date du paiement du prix (soit en 2011). La totalité du prix ayant été versé en une seule fois à la date de la vente, les intérêts en litige ne constituaient donc pas la rémunération d’un délai de paiement (correspondant à la période 2009/2011).

Le Conseil d’État précise par ailleurs que ne sont pas de nature à remettre en cause son analyse :

  • le fait que le montant des intérêts litigieux ne correspondait pas à l’évolution de la valeur des actions en cause sur la période concernée ;
  • le fait que la société cessionnaire aurait exercé, de fait, un contrôle exclusif de la société cible et procédé à une consolidation à 100 % de la société dans ses comptes consolidés dès l’exercice de l’option de vente par la société cédante.

On notera que suivant les conclusions du rapporteur public sous la décision, le Conseil d’État confirme la décision de la CAA qui a « justement retenu que les intérêts versés ne rémunéraient pas un délai de paiement ».

Le Conseil d’État complète ainsi sa jurisprudence Sonorma en vertu de laquelle les intérêts annuels – courus entre la date de la promesse de vente et celle de la réalisation de la vente – prévus dans une promesse de vente et venant augmenter le prix convenu entre les parties, constituent une modalité de détermination du prix de vente à la date de réalisation de la vente et non la rémunération d’un délai de paiement du prix de vente (CE, 10 mars 1999, n°169342, Sonorma, concernant la cession d’un fonds de commerce).

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Myriam Mouloudj

Myriam, Avocate, possède une expérience de près de 15 ans en fiscalité. Arrivée chez Deloitte Société d’Avocats en 2006, elle réintègre le cabinet en 2019 pour rejoindre le Comité Scientifique […]