Impôts étrangers à prendre en considération pour la qualification de régime fiscal « privilégié » au sens de l’article 238 A du CGI

La seule absence d’IS ne suffit pas à qualifier un régime fiscal de « privilégié » au sens des dispositions de l’article 238 A du CGI. Il convient également de prendre en compte les autres impositions directes sur les bénéfices et les revenus prévues, le cas échéant, par la législation étrangère applicable à la société considérée.

L’histoire

Dans cette affaire, une société française qui exerçait une activité de fabrication et de pose de charpentes, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité sur les exercices 2006 à 2008.

Sur la base des dispositions l’article 238 A du CGI, l’Administration a remis en cause la déduction, de son résultat imposable, des honoraires facturés au cours de la période vérifiée par une société andorrane, qui n’était pas soumise à l’impôt sur les bénéfices en Andorre au titre des années en litige. Elle a par ailleurs considéré ces charges comme des revenus distribués au bénéfice d’une société de droit étranger.

En conséquence, elle a mis à la charge de la société française des cotisations supplémentaires d’IS et de contribution à cet impôt et appliqué la RAS de l’article 119 bis, 2 du CGI, en plus des intérêts de retard et de la pénalité de 40 % pour manquement délibéré.

Le litige est ensuite porté devant les juridictions. En première instance, le TA de Toulouse rejette la demande de décharge des impositions et majorations de la société. En appel, la CAA de Bordeaux se limite à accorder la décharge de la pénalité pour manquement délibéré.

La société française se pourvoit donc en cassation. De son côté, le ministre de l’action et des comptes publics demande, par un pourvoi incident, l’annulation de l’arrêt de CAA en ce qu’il donne une issue favorable au contribuable en matière de pénalités.

La décision

Sur les dispositions de l’article 238 A du CGI

Pour trancher le litige, le Conseil d’État rappelle tout d’abord les principes applicables en matière de la charge de la preuve pour l’application des dispositions de l’article 238 A du CGI.

Il rappelle notamment qu’il incombe à l’Administration de prouver que le bénéficiaire des rémunérations en cause est soumis à un régime fiscal privilégié. Il lui appartient donc d’apporter tous éléments circonstanciés non seulement sur le taux d’imposition, mais sur l’ensemble des modalités selon lesquelles des activités du type de celles qu’exerce ce bénéficiaire sont imposées dans le pays où il est domicilié ou établi – si elle y parvient, à charge ensuite pour le contribuable, de faire valoir, en réponse, tous éléments propres à la situation du bénéficiaire en cause (CE 9e et 8e ssr, 25 janv. 1989, n°49847, Sté Hempel Peintures Marine France ; CE 3e et 8e chr, 24 avr. 2019, n°413129, Sté Control Union Inspection France (CUIF)).

Dans un second temps, le Conseil d’État saisit l’occasion de « définir » le champ des impositions étrangères à prendre en considération pour l’appréciation du régime fiscal privilégié au sens des dispositions de l’article 238 A du CGI – ainsi que l’y invitaient les conclusions du rapporteur public, Romain Victor, dans cette affaire.

Il juge ainsi qu’en retenant les arguments de l’Administration qui se prévalait de la seule absence, au cours des exercices litigieux, d’un IS en Andorre, sans prendre en compte les autres impositions directes sur les bénéfices et les revenus prévues, le cas échéant, par la législation andorrane, la Cour a commis une erreur de droit. Il en tire ensuite les conséquences et annule l’arrêt attaqué.

On se souvient que le Conseil d’État avait déjà précisé qu’en pratique l’Administration doit justifier que la société est soumise dans le pays étranger où elle est établie, à un impôt sur les sociétés ou à des impôts comparables allant en deçà du seuil d’imposition limite fixé par l’article 238 A du CGI (CE 9e et 10e ssr, 21 nov. 2011, n°325214, Min. c/ SA SIFA).

En l’espèce, il va encore plus loin et englobe à titre de référence utile pour la comparaison toutes les « autres impositions directes sur les bénéfices et les revenus » prévues par la législation étrangère en cause. Il ne s’agirait donc pas de regarder le seul IS ou les impôts équivalents applicables dans la juridiction considérée pour retenir la qualification de régime fiscal « privilégié » au sens de l’article 238 A du CGI. Il conviendrait en fait de faire entrer dans le jeu de la comparaison un panel d’impositions plus large regroupant toutes impositions directes sur les bénéfices et les revenus.

À cet égard, il est intéressant de noter que le rapporteur public suggèrerait au Conseil d’État « de faire porter son regard au-delà du seul impôt synthétique sur les bénéfices ou les revenus, pour faire entrer dans la comparaison d’autres variétés d’impôts ayant pour objet ou pour effet de grever les bénéfices ou les revenus, tels qu’une taxe sur l’excédent brut d’exploitation ou un impôt frappant un revenu brut, par exemple une taxe due à raison des sommes encaissées par les entreprises, qui serait construite sur le modèle de la déjà fameuse « taxe GAFA », prévue à l’article 299 du CGI, pesant sur les entreprises du secteur numérique en contrepartie de la fourniture en France de certains services ».

Sur la pénalité de 40 % pour manquement délibéré, prévue par l’article 1729-a du CGI

La CAA de Bordeaux relève que les prestations réalisées par la société andorrane ne correspondaient pas aux stipulations du contrat conclu avec la société française. Néanmoins, elle retient que l’Administration n’établissait pas l’intention de la société française de se soustraire à l’impôt et, par suite, le caractère délibéré du manquement commis.

De son côté, le Conseil d’État relève que ce constat ne portait que sur une minorité de chantiers sur les 140 chantiers facturés par la société andorrane et que certains présentaient un caractère stéréotypé et comportaient des incohérences de nature à mettre en doute la réalité des opérations litigieuses. Dans ces conditions, il conclut qu’en jugeant que l’Administration n’établissait pas l’intention de la société française de se soustraire à l’impôt et, par suite, le caractère délibéré du manquement commis, la cour a inexactement qualifié les faits soumis à son appréciation. Il annule donc également l’arrêt de la CAA en ces points.

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Myriam Mouloudj

Myriam, Avocate, possède une expérience de près de 15 ans en fiscalité. Arrivée chez Deloitte Société d’Avocats en 2006, elle réintègre le cabinet en 2019 pour rejoindre le Comité Scientifique […]