Incompatibilité de la RAS prélevée sur les dividendes perçus par des sociétés d’assurance-vie européennes (pré-LF 2022) avec le droit de l’UE

La CAA de Versailles juge contraire à la libre circulation des capitaux la RAS prélevée sur le montant brut des dividendes de source française versés à une société d’assurance-vie italienne, soumise à des exigences similaires à celles des sociétés d’assurance-vie françaises conformément à la réglementation UE.

Rappel

Par principe, les dividendes de source française versés à des personnes physiques ou morales non-résidentes sont soumis en France à une RAS dont le taux, équivaut au taux normal de l’IS (CGI, art 119 bis et 187 – 25 % depuis 2022) peut être réduit par les conventions fiscales internationales conclues par la France. La RAS est liquidée sur le montant brut des revenus mis en paiement (CGI, ann. II, art. 48).

La base de la RAS prévue au 2 de l’article 119 bis du CGI s’est trouvée limitée par la jurisprudence sur le fondement de la liberté de circulation des capitaux (TFUE, art. 63). A ce titre, le Conseil d’Etat avait notamment jugé qu’une société d’assurance-vie britannique qui aurait pu déduire des provisions techniques d’un montant quasi-identique aux dividendes qu’elle avait reçus de sociétés françaises, si elle avait été établie en France, était fondée à demander la restitution de la RAS acquittée sur un montant brut (CE, 11 mai 2021, n°438135, Sté UBS Asset Management Life Ltd,  qui se fonde elle-même sur la jurisprudence de la CJUE relative aux fonds de pension – voir notamment CJUE, 8 novembre 2012, aff. 342/10, Commission c/ Finlande et CJUE, 13 novembre 2019, aff. 641/17, College Pension Plan of British Columbia).

Depuis, la LF 2022 a mis en place un dispositif permettant, sous certaines conditions, aux sociétés étrangères de demander la restitution de la différence entre la RAS prélevée en application de l’article 119 bis, 2 du CGI (sur une base brute) et la RAS calculée à partir d’une base nette des charges réelles supportées pour l’acquisition et la conservation des revenus (CGI, art. 235 quinquies).

L’histoire

En 2014 et 2015, une société d’assurance-vie italienne a perçu des dividendes de source française à raison d’actifs qu’elle détient en représentation d’engagements réglementés.

Après que les sociétés françaises distributrices aient procédé au paiement de la RAS sur les dividendes, telle que prévue par l’article 119 bis, 2 du CGI, la société italienne en a réclamé la restitution partielle auprès de l’administration fiscale française.

Selon la société, la RAS constituait une entrave au principe de libre circulation des capitaux, dans la mesure où elle se trouvait légalement et règlementairement tenue, concomitamment à la perception de ces dividendes, de constituer des provisions techniques (par transposition de la directive 2002/83/CE du 5 novembre 2002 concernant l’assurance directe sur la vie, chapitre 2), qui si elle avait été établie en France, auraient été déductibles et seraient venues annuler la charge fiscale supportée à raison de ces revenus.

En effet, les sociétés françaises d’assurance-vie sont dans l’obligation de constituer, au titre de leurs engagements réglementés, des provisions techniques représentatives de leurs engagements vis-à-vis de leurs assurés qui doivent, en permanence, être représentés par des actifs équivalents. Ainsi, la perception de dividendes provenant d’actifs admis en représentation des engagements réglementés entraîne une augmentation, à concurrence de tout ou partie de leur montant, des engagements de l’assureur vis-à-vis de l’assuré, et par suite des provisions techniques déductibles du résultat soumis à l’IS. Dès lors, la perception de ces dividendes n’entraîne pour elles aucune imposition supplémentaire.

En conséquence, une société d’assurance-vie française est imposée par application des règles prévues à l’article 38 du CGI, sur le montant net des dividendes perçus (bénéfice imposable = dividende [produit] – provisions techniques [charges]), alors qu’une société d’assurance-vie italienne est soumise à une RAS sur le montant brut des dividendes français perçus, sans prise en compte des provisions techniques [charges] constituées en application de la même réglementation européenne.

La décision

La CAA de Versailles relève que la société d’assurance-vie italienne se trouve dans une situation « objectivement comparable » à celle des sociétés d’assurance-vie françaises, puisque la législation italienne exige que les sociétés italiennes d’assurance-vie comptabilisent des provisions techniques dans des conditions similaires à celles figurant dans le code des assurances français, par transposition des mêmes directives européennes.

Il ressort ainsi de la documentation produite par la société d’assurance-vie italienne que les dividendes perçus au cours des exercices litigieux, réinvestis dans les contrats d’assurance-vie qu’elle gérait, ont généré une augmentation corrélative de ses engagements vis-à-vis de ses assurés, et par suite, une comptabilisation de provisions techniques.

Dès lors, dans la lignée de la décision du Conseil d’Etat Société UBS Asset Management Life Ltd, la CAA de Versailles juge qu’il existe une différence de traitement fiscal entre les dividendes de source française, selon qu’ils sont perçus par une société française (provisions techniques déductibles du résultat IS) ou par une société établie dans un autre État membre de l’UE (RAS perçues sur le montant brut des dividendes). Cette différence de traitement fiscal défavorable n’étant justifiée par aucune raison impérieuse d’intérêt général, la Cour considère qu’elle constitue une restriction à la libre circulation des capitaux.

Par conséquent, elle accueille favorablement la demande de restitution de RAS de la société italienne.

On notera que l’intérêt de cette décision est uniquement contentieux, du fait de l’introduction par la LF 2022 de la faculté pour les sociétés étrangères de demander le remboursement des RAS acquittées en application de l’article 119 bis du CGI et dont le fait générateur intervient à compter du 1er janvier 2022.

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Myriam Mouloudj

Myriam, Avocate, possède une expérience de près de 15 ans en fiscalité. Arrivée chez Deloitte Société d’Avocats en 2006, elle réintègre le cabinet en 2019 pour rejoindre le Comité Scientifique […]

Agathe Saint Joanis

Agathe Saint Joanis a intégré Deloitte Société d’Avocats en 2019. Elle y a rejoint l’équipe du Comité Scientifique Fiscal.