Le 30 janvier 2023, une « Charte de présentation des écritures » a été signée par les plus hauts représentants des professions de magistrat et d’avocat.
Un guide pratique des contentieux civil
Composée de 5 pages et de deux modèles de « conclusions », l’un pour la première instance et l’autre pour l’appel, la Charte se présente comme un « guide de bonnes pratiques non contraignant mis à la disposition des juridictions et des barreaux ». Autrement dit, la Charte vise à faciliter les rapports entre les magistrats et les avocats, sans que ses dispositions ne soient impératives et sans qu’aucune sanction à leur inobservation ne soit prévue dans celle-ci.
Après plus d’un an d’attente, la Charte était très attendue par les professionnels de la justice qui partageaient essentiellement une interrogation commune : « la charte va-t-elle révolutionner la pratique contentieuse en matière civile et les rapports entre les différents acteurs ? »
A sa publication, la majorité des destinataires de la charte semble malheureusement partager le même point de vue : si la charte apporte quelques précisions utiles, elle ne vient pas totalement répondre aux attentes et pourrait s’avérer « dangereuse » aussi bien dans sa mise en œuvre que dans sa mise en pratique.
Des bonnes pratiques, des généralités, et peu d’exemples pratiques
La Charte est organisée en deux parties : des recommandations générales et des préconisations particulières.
En ce qui concerne les recommandations générales, à leur lecture on constate rapidement que celles-ci présentent un intérêt limité. En effet, la Charte recommande aux avocats d’être lisibles, compréhensibles, synthétiques, clairs et précis tout en utilisant une police de taille suffisante ainsi qu’une numérotation des pages.
En revanche, les recommandations spécifiques de la Charte reviennent sur les différentes parties des écritures en fournissant des indications ponctuées d’exemples. Malheureusement, les différents commentateurs font part de leur déception de voir que trop peu nombreux d’exemples pratiques issus d’un retour d’expérience et illustrant les différentes recommandations. C’était pourtant l’une des grandes attentes des professionnels.
Des précisions néanmoins utiles
La Charte apporte néanmoins quelques précisions concernant la rédaction du chapeau, l’exposé des faits et de la procédure, sur la discussion, ainsi que sur le dispositif.
Sur la rédaction du chapeau
La charte préconise de faire figurer « l’identification complète des parties » auteurs des écritures (comme le prévoit déjà l’article 54 du CPC pour les assignations) comportant des précisions utiles au litige, comme, par exemple, l’existence d’une procédure collective avec mention de la date du jugement d’ouverture pour les personnes morales, le cas échéant.
Sur l’exposé des faits et de la procédure
La Charte recommande d’être synthétique, précis, et de documenter les propos par des pièces justificatives. L’exposé des éléments de procédure, notamment les mesures antérieures prises entre les parties, doit intervenir immédiatement après la présentation des faits dans la mesure où leur rappel est utile à la compréhension du litige, ou intéresse directement les questions de procédure.
Sur la discussion
La Charte indique notamment que la jurisprudence doit se limiter aux décisions utiles à la solution du litige et que le caractère subsidiaire d’une prétention, ou d’un moyen, doit apparaître clairement par rapport à la prétention, ou au moyen principal.
Elle rappelle ainsi quelques définitions lexicales des termes de procédure :
- l’objet est « déterminé par les prétentions respectives des parties »
- la prétention « est l’objet de la demande, ce à quoi prétend la partie (par exemple, l’annulation de contrat, l’allocation de dommages et intérêts, et, en appel, la confirmation, l’infirmation ou l’annulation du jugement »
- les moyens sont les « considérations de droit ou de fait invoqués par une partie qui concourent au succès de sa prétention »
Sur le dispositif
La Charte pointe l’écueil souvent rencontré dans les conclusions et en rappelle la règle : le dispositif ne doit pas être un résumé ou une synthèse des moyens, qui ne doivent pas figurer dans le dispositif.
La Charte souligne ensuite que le dispositif « ne doit pas » contenir des demandes d’avocats qui débuteraient par des « dire et juger que » des « constater que » ou « donner acte » hors les cas prévus par la loi. Toutefois, la Charte n’indique pas le vocable qu’il convient d’utiliser en lieu et place de ces « formulations interdites ».
Il convient de se référer à d’autres documents pour obtenir des indications en ce sens : le « guide des bonnes pratiques de la rédaction des conclusions en matière civile » du barreau des Hauts-de-Seine publié en 2019 propose ainsi l’utilisation des seules formulations suivantes : « CONFIRMER », « REFORMER », « CONDAMNER », « DECLARER CADUC », « DECLARER IRRECEVABLES », « DECLARER NUL » et « ORDONNER ».
Le difficile frontière entre le « droit dur » de la législation et le « droit mou » de la Charte à l’origine de certaines inquiétudes
Les dispositions de la Charte sont pour l’essentiel un rappel de règles déjà existantes qui ne sont pas assez scrupuleusement respectées par les avocats selon l’avis de certains magistrats. Ce rappel, même s’il s’avère très succinct, peut parfaitement avoir une utilité afin de « faciliter les rapports entre les avocats et magistrats ».
L’essentiel des critiques de la doctrine semble se cristalliser autour de l’amalgame que la charte introduirait entre le « droit dur » déjà existant et pour l’essentiel contenu dans le Code de Procédure Civil et le « droit mou » (ou « soft law ») offert par la charte qui se présente elle-même comme non-contraignante.
Dans cette perspective, pourquoi utiliser des « recommandations » qui prennent l’apparence d’obligations ?
La Charte énonce par exemple que le dispositif « NE DOIT PAS contenir certaines formulations ».
Les magistrats et les avocats feront-ils encore clairement la différence entre les dispositions impératives du Code de procédure civile (qui peuvent être assorties de sanctions) et les « bonnes pratiques » de la Charte ?
L’accueil de la Charte est ainsi mitigé, voire clairement critiqué et il n’est pas certain que son objectif visant à « simplifier les rapports entre les avocats et les magistrats » soit totalement atteint.
Pour une meilleure lisibilité, nous vous proposons un tableau illustratif et comparatif des dispositions du Code de procédure civile et des dispositions de la Charte.
Code de procédure civile – » Droit dur « |
Charte de présentation des écritures – « Droit mou » |
D’après le Code de Procédure Civile
Source : Article 768 (1re instance) et 954 (appel) du CPC. |
La Charte « conseille » :
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Les exceptions de procédure affectant l’acte introductif d’instance sont à soulever avant toute défense au fond. Les fins de non-recevoir peuvent être proposée en tout état de cause. Source : Article 112 et 113 du CPC |
La Charte rappelle généralement que le respect de l’ordre de présentation des exceptions de procédure, des fins de non-recevoir et des moyens relevant de la défense au fond est également essentiel. |
Le CPC liste précisément les mentions obligatoires et notamment celles permettant l’identification des parties. Source : Article 54 et 960 du CPC |
La Charte donne des exemples de précisions qui peuvent être rajoutés pour améliorer l’identification des parties (par exemple, l’existence d’une procédure collective pour les personnes morales). |
Aucune disposition du CPC n’interdit formellement l’utilisation des formulations « DIRE ET JUGER, CONSTATER QUE, DONNER ACTE ». Il semblerait que seules certaines décisions de justice ont sanctionné dans certains cas l’utilisation de ces termes dans le dispositif (sanctions ayant été critiquées ou annulées en appel ou en cassation) |
La Charte indique que le dispositif « NE DOIT PAS CONTENIR » des formulations du type « dire et juger que », « constater que » ou « donner acte » hors les cas prévus par la loi. |