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La Cour de cassation valide la « taxe Lidl » 

Interrogée sur la licéité d’une remise tarifaire pratiquée dans le secteur de la grande distribution, la Cour de cassation a rendu, le 25 juin 2025 (n° 24-10.440, publiée au Bulletin), une décision attendue en matière de pratiques restrictives de concurrence. Elle confirme l’arrêt de la Cour d’appel de Paris qui avait débouté le ministre de l’Économie dans son action contre la centrale d’achat du groupement E. Leclerc (Galec).

L’affaire

Entre 2013 et 2015, les conventions annuelles conclues entre le Galec et plusieurs fournisseurs prévoyaient une clause selon laquelle lorsque les produits étaient également référencés par l’enseigne Lidl, une réduction de prix additionnelle de 10 % s’appliquait automatiquement en faveur du Galec. Surnommée la « taxe Lidl », cette remise était dénoncée par l’Administration comme une pratique abusive, dépourvue de véritable contrepartie.

Le ministre de l’Économie avait assigné le Galec sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 1° du code de commerce (dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 24 avril 2019), sollicitant l’annulation de ces clauses, la cessation des pratiques, le reversement des sommes perçues et le prononcé d’une amende civile.

En effet, aux termes de l’article L. 442-6, I, 1° du code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, pour tout producteur, commerçant, industriel ou toute personne immatriculée au répertoire des métiers, «dobtenir ou de tenter dobtenir dun partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu».

Cependant, la Cour d’appel de Paris, par un arrêt du 25 octobre 2023, a refusé de faire droit aux demandes du ministre de l’Economie, retenant que : 

  • la remise pratiquée par les fournisseurs ne rémunérait pas un service commercial ou toute autre obligation, mais faisait partie intégrante de la négociation liée aux conditions de l’opération de vente ;
  • cette remise n’était pas dénuée de contrepartie, cette dernière consistant en un « maintien du flux d’affaires » entre les parties  ; et que
  • la remise devait être appréciée au regard du contexte de tension concurrentielle entre les distributeurs
    E. Leclerc et Lidl.

Contestant la position de la cour d’appel, le ministre a alors formé un pourvoi devant la Cour de cassation en affirmant que :

La position de la Cour de cassation

Refusant de sanctionner la « taxe Lidl » mise en œuvre par Leclerc, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le ministre de l’Economie.

La Cour rappelle qu’en vertu de la combinaison des articles L. 442-6, I (établissant les conditions générales de vente du fournisseur comme socle unique de la négociation commerciale), L. 441-7 (précisant le contenu de la convention annuelle conclue entre le fournisseur et le distributeur) et L. 441-6 , I, 1° (prohibant l’obtention d’avantage sans contrepartie) du code de commerce dans leur version applicable à la date des faits, seul un avantage étranger aux obligations d’achat et de vente doit être justifié par un service commercial effectivement rendu.

Aux termes de l’arrêt, les juges retiennent que la remise supplémentaire de 10 % consentie par les fournisseurs du Galec « était prévue au titre des conditions de l’opération de vente des produits, au sens du 1° de l’article L. 441-7, I, du code de commerce, et non au titre de la rémunération d’un service commercial ou de toute autre obligation, au sens des 2° et 3° du même article ». Par conséquent, la « taxe Lidl » ne constituait pas un avantage injustifié au sens de l’article L. 442-6, I, 1°, du code de commerce.

Quelles conséquences pour la négociation commerciale ?

Cette décision, publiée au Bulletin, a une portée notable/est significative. Elle confirme que les remises ne relèvent pas du champ des pratiques restrictives dès lors qu’elles s’intègrent au prix négocié de l’opération de vente.

En outre, la Cour de cassation juge que les conditions de l’opération de vente échappent à pouvoir de contrôle : elle n’a donc pas à rechercher s’il existe une stricte adéquation entre les conditions de l’opération de vente et leur contrepartie. Peut-être faut-il y voir la confirmation du raisonnement de la Cour d’appel de Paris qui estime que l’article L. 442-1, I, 1° du code de commerce « n’a pas pour objet de permettre un contrôle judiciaire de la fixation des prix et de la stricte adéquation entre un prix de cession et la valeur du bien qui en est l’objet » (CA Paris, 3 juill. 2024, n°22/14428).

Les conséquences de cet arrêt restent toutefois à nuancer. Cette décision a été rendue sous l’empire de l’ancienne rédaction de l’article L. 442-6 du code de commerce. Or, depuis l’ordonnance de 2019, la référence au « service rendu » a remplacé la notion plus large « (d’) avantage sans contrepartie ». Cette évolution textuelle pose donc la question de savoir si la solution adoptée par la Cour de cassation demeurera pertinente.

  • Benjamin Balensi

    Benjamin Balensi, Avocat Associé, exerce son activité au sein de l’équipe droit des affaires. Il conseille les sociétés françaises et…

  • Charlotte Cazalis

    Charlotte est avocate en droit des affaires. Elle rejoint le cabinet Deloitte Société d’Avocats en 2017. Elle conseille des clients…

  • Jean Dallemagne

    Jean a rejoint Deloitte Société d’avocats en 2022 et travaille en tant qu’avocat dans le département Droit commercial. Il conseille…