Avec la suppression des frontières fiscales au 1er janvier 1993, le droit communautaire a mis en place un nouveau régime de TVA dont la durée de vie initiale était limitée à 4 ans.
La directive prévoyait expressément que ce « régime transitoire » serait remplacé par un régime définitif au 1er janvier 1997.
Or, ce « régime transitoire » près de 20 ans après son introduction est toujours en place. Les défauts originaux dont il est porteur produisent des effets sourds, déstabilisateurs et menaçants portant atteinte à la sécurité juridique pourtant indispensable à une conduite sereine des opérations au sein d’un marché unique.
Toute expédition au sein de la Communauté de biens ou de services par-delà les frontières réalisée par un assujetti au profit d’un autre assujetti se fait en exonération de TVA au niveau du fournisseur, l’acquéreur devant acquitter la TVA dans le pays où il est établi.
Pour faire fonctionner ce système, un numéro d’immatriculation à la TVA intracommunautaire a été attribué par chaque administration locale à chaque assujetti.
Doté d’un tel numéro, chaque assujetti peut ainsi s’approvisionner en franchise de TVA, le fournisseur pour bénéficier de l’exonération devant s’assurer de la validité du numéro d’immatriculation de son client et de la réalité de l’acheminement hors de France des marchandises vendues.
Ce mécanisme devait apporter simplification par rapport aux procédures douanières précédemment en vigueur et sécurité grâce à la mise en place d’un système communautaire de vérification de validité des numéros intra-communautaires.
Force est de constater qu’il n’en est rien et que, désormais, toute transaction intra-communautaire est suspecte. Il est paradoxalement plus sûr d’exporter. La preuve de l’exonération de TVA résulte sans contexte possible de la détention par l’exportateur d’un document d’exportation douanier: c’est une preuve absolue. Dans les échanges intra-communautaires en revanche, les preuves de la validité du numéro intra-communautaire et de la réalité de l’expédition hors de France sont avec la jurisprudence devenues des preuves relatives, à charge pour le fournisseur qui expédie de prouver qu’il ne s’insère pas, à son insu, dans une chaîne de fraude à la TVA, cette fraude pouvant être perpétrée en amont ou en aval par son client.
La TVA est ainsi devenue un champ de bataille « Père gardez-vous à droite, père gardez-vous à gauche ».
La fraude carrousel s’est ainsi insinuée dans la mécanique de l’impôt.
En ayant interrompu le paiement fractionné de la TVA du fait du franchissement de la frontière, on a – ce qui était prévisible à l’époque et annoncé haut et clair – permis aux fraudeurs de s’installer dans le système.
Suite à la jurisprudence communautaire, la réponse du législateur, tardive, est intervenue à compter du 1er janvier 2007 et s’est traduite par des obligations de vigilance nouvelles pesant sur les entreprises et des sanctions pour le client d’un fournisseur défaillant tels que le rejet de son droit à déduction de la TVA ou sa mise en responsabilité solidaire . L’instruction administrative d’application avait mentionné les éléments susceptibles d’alimenter un faisceau d’indices permettant au client d‘apporter la preuve qu’il ne savait pas ou pouvait ignorer que son fournisseur était un fraudeur. Toutefois, l’expérience des contrôles fiscaux en la matière montre qu’un contribuable de bonne foi ayant réuni ces éléments se voit néanmoins sanctionner.
Puis est apparue la technique dite de « l’inversion de redevable ». Un assujetti établi hors de France réalisant des opérations taxables en France n’est plus redevable de la TVA ; c’est le client assujetti qui doit auto liquider la TVA afin d’éviter que l’entreprise étrangère ne reparte sans verser cette TVA au Trésor français.
Plus récemment, cette technique a été étendue à des opérations purement internes portant sur certains produits.
Progressivement, le fil conducteur de la TVA (la facture portant mention de la taxe) s’est effiloché… avec un accroissement de formalités à accomplir, dans un climat de suspicion croissant.
Il est évident qu’on ne peut plus continuer comme cela : le risque est trop grand, l’incertitude trop pénalisante et les pertes de recettes inacceptables dans la situation économique actuelle !
Il est indispensable d’agir en 2 temps :
1. Il faut mettre en place, ce qui prendra du temps, un régime de TVA supprimant les causes des dysfonctionnements graves actuels dont la source principale se trouve dans la non-taxation des livraisons intracommunautaires.
Ce nouveau système reposera :
- Sur une nécessaire égalité de traitement des opérations, qu’elles soient internes à un pays déterminé ou intra-communautaires (Voir à cet égard l’article de Michel Aujean sur ce blog) ;
- Sur des règles sûres et maîtrisées par les opérateurs et les administrations, sans créer de charges nouvelles pour les entreprises et surtout pas d’obligations liées au passage d’une frontière telles que la preuve du transport des biens.
En bref, il s’agit de créer une véritable solidarité entre les administrations des Etats. Malheureusement, il ressort des discussions sur le livre vert présenté par la Commission pour réfléchir à l’évolution de la TVA qu’à ce stade, aucun des Etats ne souhaitait modifier le régime actuel.
En revanche, les mesures d’inversion du redevable ne résolvent rien et font revenir la TVA à une taxe sur la dernière consommation applicable en 1955 en France ! On est très loin d’une TVA unifiée dans un marché sans frontière.
2. En attendant d’arriver au nouveau système que nous appelons de nos vœux, la lutte contre la fraude carrousel passe nécessairement par une approche éclairée permettant de discerner le bon comportement du comportement fautif.
Au lieu de se satisfaire d’une approche approximative des comportements, le juge français de l’impôt pourrait utilement recourir aux divers critères pertinents fouillés et approfondis qui, en permettant de mieux cerner le comportement de l’entreprise, conduisent le juge à prononcer son intime conviction.
A cet égard, la comparaison entre les jugements de nos tribunaux et ceux émanant des cours britanniques (lesquelles apportent un grand soin à démontrer que l’assujetti « ne pouvait pas ne pas savoir » qu’il était impliqué dans un réseau frauduleux) est particulièrement éclairante et nous montre le long chemin qu’il nous reste à parcourir pour apporter plus de sécurité juridique.