3 questions à Michel Aujean qui nous livre ses commentaires sur la TVA, son inefficacité et ses incertitudes. Si la critique de la TVA en Europe devient « une tarte à la crème » étant donné l’ampleur des difficultés qui l’affectent, Michel Aujean avance des solutions concrètes pour surmonter ces problèmes. Il s’agirait d’adopter le système VIVAT en vue d’appliquer un taux unique à toutes les transactions entre assujettis et de le doubler d’une utilisation systématique de la facture électronique. Un seul objectif sous-tend cette proposition : établir (enfin) un système moderne de TVA !
Michel Aujean, vous venez de publier un article dans EC Tax Review (« Towards a Moderne EU VAT System: Associating VIVAT and Electronic Invoicing » EC Tax Review 2011-5) dont le titre pourrait se lire en français: « Vers un système moderne de TVA : associer VIVAT et la facturation électronique ». Pourquoi cet article?
En premier lieu parce que cela fait un certain temps que je souhaite clarifier à la fois ce qui ne fonctionne plus correctement et ce qui devrait être mis en place en ce qui concerne le système européen de TVA intracommunautaire. Ensuite par réaction face à l’inaction des pouvoirs publics dans pratiquement tous les pays d’Europe alors que la TVA devient de plus en plus complexe et de moins en moins contrôlable essentiellement parce que les Etats membres sont incapables de faire preuve de ce que j’appellerais « un principe de solidarité fiscale ».
Quel est votre constat ?
Lorsque le système de TVA intracommunautaire que nous connaissons aujourd’hui a été introduit, il était clair pour tous, comme c’est très clairement indiqué dans le 1er rapport sur le fonctionnement du système présenté par la Commission en 1994, que le système souffrait d’un vice et d’une incertitude.
Le vice c’est l’exonération des livraisons intracommunautaires de biens, ce qu’on appelle également le taux zéro appliqué à ces livraisons, dans un cadre sans contrôle aux frontières intérieures de l’Union et alors même que les livraisons domestiques sont taxées. Comme je l’explique dans cet article c’est la raison première de la fraude dite carrousel qui a déjà coûté de nombreux milliards d’euros aux fiscs nationaux. Tant que l’on peut acheter sans TVA et vendre avec TVA, la tentation est grande de mettre en place des filières dans le seul but de facturer de la TVA et de l’empocher avant de disparaître ! Ce n’est pas autre chose qui est arrivé également dans le cas de la fraude aux certificats verts.
L’incertitude tient à la condition posée pour l’exonération des livraisons dans le pays de départ : la preuve du transport en dehors de cet Etat. La pertinence d’une telle preuve est très souvent incertaine, son obtention est toujours délicate et coûteuse dans la mesure où elle suppose un suivi spécifique de la part de services différents au sein de l’entreprise (comptable et logistique). Lorsque ces dispositions ont été adoptées, la Commission avait attiré l’attention sur les risques d’une condition de ce type (risque largement souligné dans le 1er rapport sur le fonctionnement du régime transitoire). L’interprétation à donner à cette disposition avait d’ailleurs donné lieu à bien des débats, les services de la Commission ayant systématiquement insisté sur le fait que tous moyens de preuve devaient être recevables, qu’aucun n’était indispensable mais aucun n’était suffisant à lui seul, le faisceau d’indices devant alors être examiné en cas de contestation.
Ces deux faiblesses majeures du régime transitoire se combinent aujourd’hui pour mettre en péril la sécurité juridique des opérateurs, au point que nombreux sont ceux qui affirment préférer le recours à des transactions soumises aux procédures douanières pour ne pas risquer de voir leurs transactions remises en cause ou se trouver impliqués malgré eux dans des opérations de fraude carrousel.
Quelle solution recommanderiez-vous ?
Sur le plan systémique, il faut mettre fin d’urgence à la différence de traitement entre les transactions domestiques et les transactions intracommunautaires et en particulier au taux zéro dont bénéficient ces dernières. C’est la seule façon à la fois de se débarrasser de la raison d’être de la fraude carrousel et de rétablir l’égalité entre les différentes transactions. Mais il faut le faire de façon à supprimer simultanément l’exigence de preuve du transport des biens en dehors de l’Etat membre de départ et modifier le moins possible le reste du système auquel les opérateurs sont accoutumés.
Je pense que le meilleur moyen est d’adopter le système VIVAT proposé initialement en 1996 par Michael Keen et Stephen Smith. Il s’agit d’appliquer un taux unique (par exemple 15% qui est le minimum du taux normal actuel) à toutes les transactions effectuées entre assujettis à la TVA tandis que les Etats membres demeurent libres (éventuellement avec des minima à respecter) de fixer le taux de TVA applicable à la consommation finale. Certes ceci suppose de changer les pratiques des opérateurs de tous les Etats membres, y compris en régime purement domestique et en identifiant les assujettis par un numéro d’identification TVA individuel (tout comme aujourd’hui pour les livraisons ou les prestations de services intracommunautaires) d’appliquer le taux unique à toutes les livraisons entre assujettis. Il n’y aurait ainsi :
- plus de différences de traitement entre domestique taxé et intracommunautaire à taux zéro ;
- plus besoin de preuve du transport ;
- plus besoin de la déclaration d’échanges de biens.
Cette solution ne peut éviter la mise en place d’un mécanisme de compensation (clearing) des recettes entre Etats membres pour attribuer correctement la TVA collectée dans un Etat membre mais déductible dans un autre. Comme nous avons le voir la deuxième partie de la solution suggérée apporte une réponse efficace et sûre. En fait, dès lors qu’elle implique de mettre en place un mécanisme de compensation entre Etat membre et d’accepter une déduction de TVA transfrontière, cette solution serait également totalement transposable aux prestations de services entre assujettis (B to B), en lieu et place de la récente modification du lieu des prestations de services qui comporte bien des vicissitudes et risque elle aussi d’ouvrir le système de TVA à la fraude !
N’est-ce pas ouvrir la porte à d’autres types de fraudes ?
Il faut bien sûr compléter cette solution par une utilisation systématique de la facture électronique pour tout à la fois établir la TVA due, assurer le suivi des transactions et le chemin de l’audit (« audit trail » pour reprendre l’expression de Sijbren Cnossen) et effectuer la compensation de la TVA entre Etats membres. Le système serait alors le suivant :
- l’assujetti vendeur aurait l’obligation de transmettre, au moment de son émission en direction de son acheteur, une copie de la facture électronique à son administration fiscale dans un compte électronique ouvert à cette fin ;
- de même l’acquéreur aurait l’obligation, sous peine de ne pouvoir déduire la taxe d’amont, de transmettre dès réception copie de sa facture d’achat à son administration fiscale dans un compte ouvert à cette fin ;
- les deux administrations pourraient en permanence et spontanément échanger des informations sur ces factures et les montants de TVA concernés ;
- un compte provisoire de TVA serait automatiquement établi à la fin de chaque mois pour chaque assujetti établissant la TVA nette due (sous forme d’acompte), à régler selon les procédures nationales en vigueur (ainsi une TVA qui ne serait pas enregistrée par le dépôt d’une facture électronique d’achat ne pourrait pas être automatiquement déduite)
- une déclaration périodique normale serait ensuite établie (dont la périodicité peut être laissée à l’appréciation des Etats membres), dans le but de procéder aux éventuelles régularisations qui ne peuvent être prises en compte par la procédure administrative automatisée indiquée ci-dessus ;
- la compensation des TVA collectées dans un Etat membre et déduites dans un autre serait faite sur la base des factures électroniques ainsi enregistrées.
Un tel modèle suppose une harmonisation complète des mentions obligatoires de facturation ainsi qu’une sécurisation plus forte couplée à une plus grande facilité d’utilisation de la facturation électronique par les opérateurs que ce n’est le cas actuellement.
Une telle approche, parce qu’elle s’inscrit dans le développement des échanges et des pratiques commerciales et évite toute obligation qui repose sur d’autres routines de gestion (logistique par exemple) me semble permettre de progresser considérablement dans la voie de l’intégration de nos économies et permettre une réduction considérable des coûts du système de TVA pour les opérateurs tout en respectant le souhait des Etats membres de conserver la maîtrise des taux applicables à la consommation finale, les seuls qui importent pour les recettes publiques.