En matière de droit des affaires, la loi Climat et résilience ambitionne d’intégrer la prise en compte des enjeux environnementaux à la gestion courante des entreprises. Sans doute, la loi ne contient-elle, à première vue, que très peu de mesures en droit des sociétés, mais ce serait omettre que certaines de ses dispositions ont une incidence en la matière.
Sont ainsi consacrés : l’introduction d’un droit de préemption au profit des communes et intercommunalités concernant certaines opérations sociales, l’obligation de publication d’informations environnementales aux déclarations extra-financière des entreprises, l’élargissement du devoir de vigilance à la lutte contre la déforestation importée, l’exclusion d’un candidat à une procédure de passation de marché public en cas de manquement à l’obligation d’établir un plan de vigilance et l’engagement de la responsabilité de la société mère pour les actes commis par sa filiale dans le domaine minier.
L’incidence sur certaines opérations sociétaires (cessions de droits sociaux)
L’article 244 de la loi Climat introduit un droit de préemption au profit des communes et intercommunalités pour certaines opérations de droit des sociétés.
L’apport en société d’un bien immobilier peut dans certains cas faire l’objet d’un droit de préemption au profit de certaines collectivités territoriales et autres organismes visés par la loi (C. urb. art. L 211-1 s. et L 212-1 s.). Désormais, un chapitre du Code de l’urbanisme intitulé « droit de préemption pour l’adaptation des territoires au recul du trait de côte » (C. urb. art. L 219-1 s. nouveaux) permet aux communes et aux intercommunalités d’acquérir les terrains et biens destinés à disparaître (Rapport AN n° 3995 p. 398) et décrit la procédure de préemption (nouvel article L 219-6 du Code de l’urbanisme). Dans les zones où celui-ci s’appliquera, toute aliénation sera subordonnée, à peine de nullité, à une déclaration préalable adressée par le propriétaire cédant à la commune de situation du bien, qui comportera l’indication du prix et des conditions de l’aliénation projetée. L’entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions est subordonnée à la publication de décrets.
L’application du droit de préemption
Le droit de préemption s’appliquera, en premier lieu, à l’attribution en propriété ou en jouissance d’un immeuble ou d’une partie d’immeuble, bâti ou non bâti, ou d’un ensemble de droits sociaux, lorsqu’ils sont aliénés à titre onéreux ainsi que l’apport en société d’un immeuble ou d’une partie d’immeuble (bâti ou non) situé dans une zone exposée au recul du trait de côte, c’est-à-dire à l’érosion du littoral.
Cela inclut les cessions qui conduisent l’acquéreur à détenir la majorité des parts. La loi fait entrer dans son champ d’application le cas de plusieurs cessions successives consenties au même acquéreur (qu’il soit tiers ou déjà associé). Est aussi visée l’hypothèse de la cession entre associés qui permet à l’un d’eux de détenir la majorité des parts.
Échappent cependant à ce nouveau droit de préemption les immeubles compris dans un plan de cession arrêté par un tribunal dans le cadre du redressement ou de la liquidation judiciaire de l’entreprise propriétaire de l’immeuble.
Sont également visées par cette mesure :
- les cessions de droits indivis portant sur un immeuble ou une partie d’immeuble, bâti ou non bâti, sauf lorsqu’elles sont consenties à l’un des coindivisaires
- les cessions de tantièmes contre remise de locaux à construire
- la cession de la majorité des parts d’une société civile immobilière (SCI) lorsque son patrimoine social est constitué d’une unité foncière, bâtie ou non, dont la cession relèverait elle-même du droit de préemption relatif au recul du trait de côte, à l’exclusion toutefois des SCI constituées exclusivement entre parents et alliés jusqu’au quatrième degré inclus
La cession d’une seule part de la SCI pourrait donc donner lieu à une préemption pour recul de côte.
Enfin, les immeubles ou ensembles de droits sociaux qui font l’objet d’une donation entre vifs entrent également dans le champ d’application de ce nouveau droit de préemption, même si, y échappent les transferts en pleine propriété des immeubles appartenant à l’Etat ou à ses établissements publics.
Aménagements nouveaux de la déclaration extra-financière
La loi Climat vient aussi imposer la publication de nouvelles informations dans le cadre de la déclaration extra-financière des entreprises. Cette mesure vise à entraîner une réduction des émissions nationales de gaz à effet de serre, notamment celles du secteur du transport représentant 30 % de ces émissions (Etude d’impact p. 285 de la Convention citoyenne, version du 29-1-2021).
Plus spécifiquement, cette mesure ambitionne de mettre en œuvre la proposition SD-B1.6 de la Convention citoyenne pour le climat, qui préconise d’obliger les « chargeurs » à intégrer des clauses environnementales, c’est-à-dire que les plus grosses entreprises commanditaires, tels que les enseignes de la grande distribution, définissent des plans d’action de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre liée au fret.
Les sociétés concernées par l’obligation de déclaration de performance extra-financière
Il est communément indiqué qu’environ 3 800 entreprises sont soumises à l’obligation d’intégrer dans leur rapport de gestion annuel une déclaration de performance extra-financière (C. com. art. L 225-102-1, I, L 22-10-36, L 226-1). Si jusqu’alors seules les entreprises relevant du secteur des services de transport et certaines sociétés pour lesquelles ce poste d’émission de gaz à effet de serre est significatif étaient concernées, désormais tous ceux qui commandent pour leur activité des prestations de transport à des transporteurs ou à des commissionnaires de transport sont visés par la nouvelle obligation de publication d’information. De façon plus précise, sont concernées, les sociétés anonymes et les sociétés en commandite par actions dont :
- les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé
- le total du bilan excède 20 millions d’euros, ou dont le chiffre d’affaires net excède 40 millions d’euros
- qui emploient un nombre moyen de salariés permanents supérieur à 500
- les titres ne sont pas admis aux négociations sur un marché réglementé mais dont le total de bilan ou le chiffre d’affaires net excède 100 millions d’euros et dont le nombre moyen de salariés permanents est supérieur à 500
Les sociétés qui établissent des comptes consolidés doivent également établir une déclaration de performance extra-financière lorsque l’ensemble des sociétés incluses dans le périmètre de consolidation excède ces seuils (C. com. art. L 225-102-1, L 22-10-36, L 226-1, R 225-104 et R 22-10-29).
Ainsi, pour les exercices ouverts à compter du 1er juillet 2022, ces entreprises devront inclure dans leur déclaration de performance extra-financière – laquelle doit être insérée dans le rapport de gestion – des informations sur la manière dont elles tiennent compte des conséquences sociales et environnementales de leurs activités et de l’usage des biens et services qu’elles produisent (C. com. art. L 225-102-1, III-al. 1 et 2, sur renvoi de l’art. L 22-10-36, al. 2 pour les sociétés cotées). Les sociétés visées doivent présenter les postes d’émissions directes et indirectes de gaz à effet de serre liées aux activités de transport amont et aval de leur activité ainsi qu’un plan d’action visant à réduire ces émissions, à moyen et long terme, et les moyens mis en œuvre à cet effet (C. com. art. R 225-105, II-A 2°-d), « notamment par le recours aux modes ferroviaire et fluvial ainsi qu’aux biocarburants dont le bilan énergétique et carbone est vertueux et à l’électromobilité » (C. com. art. L 225-102-1 modifié ; Loi art. 138, I et III).
Les modalités de mise en œuvre de cette obligation
Concernant les modalités de la mise en œuvre de cette obligation, rappelons que la déclaration de performance extra-financière doit être mise à la disposition du public et rendue aisément accessible sur le site internet de la société dans un délai de huit mois à compter de la clôture de l’exercice et doit demeurer accessible pendant cinq ans (C. com. art. L 225-102-1 et R 225-105-1). De surcroît, tout intéressé peut demander en justice d’enjoindre sous astreinte à la société défaillante de communiquer les informations à mentionner dans la déclaration si elles ne figurent pas dans le rapport de gestion (C. com. art. L 225-102-1, V et art. L 22-10-36, al. 3). Aussi, les sociétés les plus importantes, c’est-à-dire celles dont le total de bilan ou le chiffre d’affaires net excède 100 millions d’euros, et dont le nombre de salariés est supérieur à 500, doivent faire vérifier les informations de la déclaration de performance extra-financière par un organisme indépendant dont l’avis est transmis aux actionnaires (C. com. art. L 225-102-1, V, L 22-10-36 et R 225-105-2, II). Il est précisé que les plans d’action doivent être envisagés sur l’exemple de ceux qui sont actuellement établis sur une base volontaire par certaines entreprises en charge du programme d’engagement volontaire de réduction des émissions porté par l’Agence de la transition écologique (Étude d’impact de la loi Climat et Résilience, p. 285 s.) : la méthodologie d’établissement du contenu de ces plans d’action, en particulier les objectifs de réduction d’émission et le suivi au moyen d’indicateurs, sera fixé par un décret à paraître.
Le nécessaire devoir de vigilance contre la « déforestation importée »
L’autre mesure phare de la loi du 24 août 2021 est la consécration de l’élargissement du devoir de vigilance à la lutte contre la déforestation importée. En effet, l’article L. 225-102-4 du Code de commerce impose désormais aux grandes entreprises l’obligation d’établir un plan de vigilance comportant des « mesures de vigilance raisonnable », propres à identifier les risques et à prévenir des atteintes graves contre les libertés et droits fondamentaux, la sécurité des personnes ou encore l’environnement, dont désormais en particulier la déforestation associée à la production et au transport vers la France de biens et de services importés (article 273 de la Loi Climat et Résilience).
Cet élargissement du devoir de vigilance met en lumière une nouvelle préoccupation : la lutte contre la déforestation importée. Elle s’entend comme « l’importation de matières premières ou de produits transformés dont la production a contribué, directement ou indirectement, à la déforestation, à la dégradation des forêts ou à la conversion d’écosystèmes naturels en dehors du territoire national » (rapport AN n° 3995 p. 446). Celle-ci s’inscrit dans le cadre d’une stratégie nationale adoptée le 14 novembre 2018, consacrée dans le Code de l’environnement (C. envir. art. L 110-6 nouveau ; Loi art. 270) et concerne les sociétés produisant ou commercialisant des produits issus de l’exploitation agricole ou forestière. Les catégories de sociétés concernées seront fixées par un arrêté (C. com. art. L 225-102-4 modifié ; Loi art. 273). Ce devoir de vigilance « accru » découle des risques à prévenir de l’activité de la société et des sociétés qu’elle contrôle directement, mais aussi indirectement, puisque sont également pris en compte les activités des sous-traitants et fournisseurs avec qui elle entretient une relation commerciale établie, lorsque les activités sont rattachées à cette relation (C. com. art L 225-102-4, I-al. 3).
Un plan de vigilance concret
Concrètement, ce plan de vigilance implique que l’entreprise tienne un compte, l’inclue dans son rapport de gestion annuel et le publie (C. com. art. L 225-102-4, I-al. 1 et 10). Celui-ci a vocation à être élaboré en association avec les parties prenantes de la société et doit notamment comprendre une cartographie des risques, des procédures d’évaluation régulières de la situation de ses filiales, ses sous-traitants et ses fournisseurs, des actions adaptées d’atténuation des risques, un mécanisme d’alerte et un dispositif de suivi des mesures mises en œuvre et d’évaluation de leur efficacité (C. com. art. L 225-102-4, I-al. 5 s.). Par conséquent, la société manquant à ce devoir de vigilance s’exposera à certaines sanctions. Cela peut en premier lieu prendre la forme d’une injonction sous astreinte prononcée par le juge à la demande de toute personne justifiant d’un intérêt à agir (C. com. art. L 225-102-4, II), après mise en demeure dans un délai de trois mois. En second lieu, ce manquement peut également engager la responsabilité extracontractuelle de la société contrevenante en l’obligeant à réparer le préjudice que l’exécution de ses obligations aurait permis d’éviter (C. com. art. L 225-102-5).
Les nouvelles sanctions liées au défaut de devoir de vigilance
L’exclusion d’un candidat à une procédure de passation de marché public
La loi Climat ne s’arrête pas là et attache une nouvelle conséquence au non-respect de l’obligation d’établir un plan de vigilance : l’exclusion d’un candidat à une procédure de passation de marché public. En effet, une société qui n’est pas en mesure de présenter un plan de vigilance dûment réalisé pour l’année qui précède l’année de publication de l’avis d’appel à la concurrence (ou d’engagement de la consultation) d’un marché public ou d’un contrat de concession pourra être exclue de la procédure de passation d’un tel marché ou contrat par l’acheteur ou l’autorité concédante (CCP art. L 2141-7-1 et L 3123-7-1 nouveaux ; Loi Climat art. 35, II-5° et III-6°).
Cette mesure entrera en vigueur à compter d’une date fixée par décret et au plus tard cinq ans à compter de la promulgation de la loi (soit au plus tard le 22 août 2026), étant précisé qu’elle ne s’appliquera qu’aux seuls marchés publics et concessions pour lesquels une consultation est engagée ou un avis d’appel à la concurrence est envoyé à la publication après cette date (Loi Climat art. 35, IV et V). Il est en effet, dorénavant, posé en principe que « la commande publique participe à l’atteinte des objectifs de développement durable, dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale » (art. L3-1 nouveau du code de la commande publique).
Une responsabilité nouvelle pour les sociétés mères dans le domaine minier
Dans le domaine minier, l’engagement, et la condamnation, de la responsabilité de la société mère par le biais de sa filiale sont des autres innovations législatives de la loi Climat.
Rappelons qu’une société explorant ou exploitant une mine est responsable des dommages causés par son activité (C. minier art. L 155-3) et qu’elle est soumise à une procédure d’arrêt des travaux en cas de cessation d’exploitation ou de fin de tranche de travaux, incluant la mise en œuvre de mesures permettant de faire cesser les nuisances engendrées par l’activité minière et de préserver la salubrité publique, la solidité des édifices, la protection des espaces naturels, ainsi que divers autres intérêts définis par la loi (C. minier art. L 163-1 s.). Désormais, depuis le 25 août 2021, la société mère (celle qui possède plus de la moitié du capital) d’une société exploitant ou explorant une mine peut être condamnée, en cas de liquidation judiciaire de celle-ci, à financer tout ou partie des mesures d’arrêt des travaux des sites en fin d’activité ou des mesures nécessaires à la réparation des dommages causés par l’activité minière, s’il est établi à son encontre une faute caractérisée ayant contribué à une insuffisance d’actif de la filiale (article 65 de la Loi Climat).
La contestation doit être formulée par le liquidateur, le ministère public ou le préfet de département devant le tribunal ayant ouvert ou prononcé la liquidation judiciaire (C. minier art. 171-3 nouveau ; Loi Climat art 65, I-5°). Si la société mère est condamnée, mais qu’elle n’est pas en mesure de financer ces mesures, l’action en justice peut être engagée contre la société détenant plus de la moitié du capital de celle-ci (société grand-mère) ou encore, si cette dernière ne peut pas non plus les prendre en charge, contre sa propre société mère (société arrière-grand-mère) (art. précités). La loi limitant la chaîne des responsabilités à la société mère de « 3e niveau », aucun recours n’est ouvert si cette dernière est elle aussi dans l’impossibilité d’exécuter la condamnation prononcée contre
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