Le Conseil d’État juge, de manière semble-t-il inédite, que la notification du jugement déclarant un dirigeant solidairement responsable des dettes fiscales de sa société constitue un « évènement » motivant une réclamation au sens des dispositions de l’article R. 196-1, c) du LPF.
L’histoire
Une société a fait l’objet, en 2014, d’une vérification de comptabilité au titre des exercices 2011 à 2013, à l’issue de laquelle l’Administration a mis à sa charge des rappels de TVA, assortis de la pénalité de 40 % pour manquements délibérés.
Ces impositions ont été mises en recouvrement en 2014, mais la société a, dans l’intervalle, été placée en liquidation judiciaire et la procédure a finalement été clôturée pour insuffisance d’actif en 2016.
En 2018, le TGI a déclaré son gérant solidairement responsable du paiement de cette dette fiscale en application des dispositions de l’article L. 267 du LPF.
Rappelons qu’en vertu de cet article, « lorsqu’un dirigeant d’une société (…) est responsable des manœuvres frauduleuses ou de l’inobservation grave et répétée des obligations fiscales qui ont rendu impossible le recouvrement des impositions et pénalités dues par la société (…), ce dirigeant peut, s’il n’est pas déjà tenu au paiement des dettes sociales en application d’une autre disposition, être déclaré solidairement responsable du paiement de ces impositions et pénalités par le président du tribunal judiciaire ».
À la réception de la signification du jugement du TGI, le dirigeant a, d’une part interjeté appel contre ce jugement et, d’autre part, adressé une réclamation à l’administration fiscale pour obtenir le dégrèvement des sommes en cause.
L’Administration a considéré que cette réclamation était tardive au regard de l’article R. 196-1 du LPF, relevant que le jugement reconnaissant le dirigeant solidaire n’est pas considéré comme un évènement susceptible d’ouvrir un nouveau délai de réclamation. Les juges de 1re instance ont, de leur côté, considéré la réclamation comme étant prématurée en l’absence, à sa date, de mise en demeure adressée au dirigeant.
La décision du Conseil d’État
Rappelons qu’en application des dispositions de l’article R. 196-1 du LPF, les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts directs locaux doivent être présentées à l’Administration au plus tard le 31 décembre de la 2e année suivant celle, selon le cas :
- De la mise en recouvrement du rôle ou de la notification d’un avis de mise en recouvrement ;
- Du versement de l’impôt contesté lorsque cet impôt n’a pas donné lieu à l’établissement d’un rôle ou à la notification d’un avis de mise en recouvrement ;
- De la réalisation de l’évènement qui motive la réclamation.
Si le juge de l’impôt considère de longue date comme un « évènement » qui motive la réclamation, la mise en jeu de la solidarité de paiement par le comptable chargé du recouvrement des impôts (CE, 11 novembre 1995, n°146994), la question n’était pas clairement tranchée s’agissant des actes antérieurs à la mise en recouvrement.
Le Conseil d’État tranche le point en jugeant que constitue un évènement au sens du c) de l’article R. 196-1 du LPF :
- la décision juridictionnelle exécutoire déclarant un dirigeant solidairement responsable du paiement des rappels d’imposition dus par sa société ;
- ou lorsqu’elle est requise, la signification de cette décision juridictionnelle au débiteur solidaire, par laquelle il prend connaissance de sa qualité de débiteur solidaire de l’impôt.
Rappelons que le caractère exécutoire des décisions de justice peut requérir des formalismes différents selon l’ordre administratif ou judiciaire.