Faisant application des principes récemment dégagés par le Conseil d’État (décision du 5 juillet 2022, n°455789, SAS Encore B), la CAA de Versailles juge que les sommes versées à l’étranger pour des prestations artistiques réalisées en France tombent dans le champ de l’article 182 A bis du CGI (RAS sur les revenus des artistes domiciliés hors de France), quand bien même ces sommes constituent également la contrepartie d’une concession de droits, indissociable de la prestation artistique.
Rappel
Pour mémoire, donnent lieu à l’application d’une RAS de 15 %, les sommes payées en contrepartie de prestations artistiques fournies ou utilisées en France, par un débiteur qui exerce une activité en France, à des personnes ou des sociétés qui n’ont pas dans ce pays d’installation professionnelle permanente (CGI, art. 182 A bis), à moins, bien entendu, que la convention fiscale applicable ne s’y oppose.
Par ailleurs, l’article 182 B du CGI prévoit l’application d’une RAS – égale au taux normal de l’IS, soit 25 % – aux produits perçus par les inventeurs ou au titre de droits d’auteurs (CGI, art. 92), aux produits tirés de la propriété industrielle ou commerciale et de droits assimilés, ainsi qu’aux paiements effectués en rémunération de prestations de toute nature fournies ou utilisées en France, lorsque ces sommes sont versées par un débiteur exerçant une activité en France à un bénéficiaire, soumis à l’IR ou l’IS, qui ne dispose pas d’installation professionnelle permanente en France. Ces dispositions s’appliquent, elles aussi, sous réserve des conventions fiscales internationales.
L’histoire
Une société française ayant pour activité la conception et l’organisation d’évènements, a conclu un contrat en 2015 avec une société singapourienne en vue de l’organisation d’un spectacle en France.
Ce contrat prévoyait, en contrepartie des représentations assurées en France par l’artiste étranger et son équipe, le versement d’une somme forfaitaire correspondant « à la rémunération totale de [l’artiste] pour les répétitions et les activités promotionnelles ». Ce contrat octroyait également à la société française le droit exclusif de représenter le spectacle dans plusieurs pays européens pour une période de deux ans.
L’Administration a considéré que ces sommes avaient été acquittées en contrepartie du droit exclusif d’exploiter un spectacle et relevaient donc de l’article 182 B du CGI. Elle les a assujetties à une RAS de 33,1/3 % (taux de l’IS de droit commun alors en vigueur).
La société française a contesté ce redressement, considérant que les prestations litigieuses relevaient, en réalité, du champ de l’article 182 A bis et donc de la RAS de 15 %.
La décision de la CAA
La CAA de Versailles rappelle d’abord que relèvent de l’article 182 A bis du CGI non seulement les prestations artistiques, mais également « les prestations qui en constituent l’accessoire indissociable ». On notera que la Cour reprend ici la solution tout récemment dégagée par le Conseil d’État (CE, 5 juillet 2022, n°455789, SAS Encore B).
La Cour procède ensuite une analyse précise des termes du contrat conclu entre la société française et la société singapourienne.
Elle relève que le service professionnel de l’artiste pour le spectacle joué en France constituait « l’objet essentiel » du contrat, ce dernier portant sur l’ensemble des droits et coûts afférents à la réalisation et à l’exploitation de la prestation scénique de l’artiste.
La Cour souligne, par ailleurs, que la rémunération était fixée globalement, pour prix de l’ensemble des engagements souscrits par la société singapourienne, sans distinguer entre la partie « prestations de services » et la partie « concession de droits », ni définir de clef de répartition.
Elle en conclut que, dans ses conditions, « compte tenu des termes et de l’économie du contrat », la concession des droits qui y est prévue est indissociable de la prestation scénique de l’artiste, de sorte que l’intégralité des sommes versées doivent être considérées comme la contrepartie de prestations artistiques au sens et pour l’application des dispositions de l’article 182 A bis.
On observera que la Cour prend ici le contre-pied de la position retenue par l’Administration, laquelle indique, dans ses commentaires au BOFiP que, pour permettre la bonne application des dispositions de l’article 182 A bis, les contrats de production doivent nécessairement faire apparaître distinctement le montant de la rémunération correspondant à la prestation artistique exécutée en France et revenant à l’artiste (BOI-IR-DOMIC-10-20-20-20, § 80, 29 juin 2022).
On notera également qu’il ressort des conclusions (conformes) sous la décision, que le rapporteur public a analysé les termes précis du contrat dans sa version originale en langue anglaise.
Enfin, la Cour a rappelé que l’absence de lien juridique direct entre le payeur et l’artiste n’est pas susceptible faire obstacle à la mise en œuvre de l’article 182 A bis du CGI (tirant, là encore, les conséquences de la décision SAS Encore B précitée).