Une récente précision de la Cour de cassation vient rappeler toute l’efficacité d’une bonne utilisation du dispositif, notamment dans les éléments à prendre en considération dans la détermination de l’actif brut d’une société. (Arrêt de la Cour de cassation du 19 janvier 2022, n° 19-19.309)
L’évolution de l’appréciation de la qualification de holding animatrice
Afin de minimiser le coût « fiscal » d’une transmission d’entreprise, le législateur a mis en place depuis 2004 le dispositif dit du Pacte Dutreil, outil indispensable pour assurer la pérennité des entreprises de nos territoires.
Sous réserve du respect de nombreuses conditions, l’application de ce dispositif permet de réduire très significativement les droits de mutation dans le cadre des transmissions de sociétés, directement ou indirectement, au travers de sociétés holdings.
Ainsi dans un contexte de groupe de sociétés, le bénéfice de ces dispositions est alors subordonné à des contraintes supplémentaires selon que la société holding soit une simple société dite « interposée » (holding pure) ou une holding jouant un rôle animateur de groupe (holding animatrice).
Or, dans ce dernier cas, cette qualification de holding animatrice n’est pas toujours acquise.
L’abondante jurisprudence rendue en la matière ces dernières années, confortée par la définition reprise au nouveau BOFIP publié par l’administration fiscale le 21 décembre 2021, rappelle que cette qualification de holding animatrice requiert la réunion de critères parfois subjectifs ainsi qu’un suivi par le contribuable qui revendique cette qualification, sur toute la durée des engagements individuel et collectif de conservation qu’il est parfois difficile de remplir.
Lorsque le caractère animateur semble trop fragile, il peut ainsi être réellement opportun de privilégier une transmission par société interposée qui repose sur des conditions objectives ainsi que sur la formalisation d’un engagement collectif de conservation des titres de chacune des sociétés filiales éligibles.
La réforme de 2019 a facilité la transmission via une société interposée en consacrant :
- la possibilité pour une personne seule de souscrire à l’engagement de conservation ;
- et la faculté d’interposer deux sociétés holdings entre les sociétés opérationnelles et le donateur.
Dans la seconde version de sa récente doctrine, l’administration fiscale a redonné toute son efficacité à ce dispositif en revenant sur la condition qu’elle imposait depuis le 6 avril 2021, et qui consistait à exiger que le donateur soit également signataire de l’engagement collectif de conservation.
Désormais, elle reconnaît expressément la possibilité pour la société holding de signer seule cet engagement sur les titres de sa/ses filiale(s) éligibles.
La question de la transmission
Une limite doit cependant être rappelée dans le cas d’une transmission par l’intermédiaire d’une ou deux société(s) interposée(s) : l’exonération partielle des droits de mutation à titre gratuit calculée sur les titres de la holding faisant l’objet de la donation, est appliquée à la valeur des titres de la société holding détenus directement par le donateur à concurrence de la fraction de la valeur réelle de l’actif brut de celle-ci représentative de la valeur de la participation indirecte ayant fait l’objet d’un engagement de conservation (i.e. filiale éligible).
Autrement dit, seule la fraction de la valeur de la holding pure représentative de sa participation au capital de la société dont les titres font l’objet d’un engagement collectif de conservation pourra bénéficier de l’exonération de 75 %.
La Cour de cassation est récemment venue apporter une importante précision sur les modalités d’appréciation de cette notion d’actif brut réel en affirmant, contrairement à ce que tentait de soutenir l’administration fiscale, qu’il s’agit de la valeur comptable de l’actif brut majorée des plus-values latentes, mais également minorée des moins-values latentes.
Cette précision, bienvenue, constitue un élément de sécurisation des transmissions par l’intermédiaire d’une société interposée et souligne toute l’efficacité de ce dispositif lorsqu’il est bien préparé.
Une question demeure toutefois concernant la prise en compte dans ce calcul des éventuels actifs non comptabilisés. Ce sujet n’est pas abordé par l’administration fiscale dans sa récente doctrine et mériterait également d’être précisé.
La transmission des titres d’une holding dont le caractère animateur prépondérant serait contestable dans le cadre d’une appréciation in concreto par le juge, pourra ainsi être privilégiée lorsque l’actif brut comptable de la société est composé de manière significative voire presque exclusive de participations dans des sociétés éligibles (i.e. sociétés dont les titres font l’objet d’un engagement collectif de conservation).
L’identification des moins-values latentes éventuelles sur les actifs non-éligibles ainsi que la réalisation d’un inventaire préalable des actifs de la holding permettra de déterminer précisément le ratio d’exonération partielle afin de conférer au dispositif toute son efficience.
Au-delà de la composition de l’actif de la société interposée, la question de la gouvernance reste également un sujet central qui devra faire l’objet d’une attention particulière. Et ce, afin de garantir la pérennité du groupe et d’anticiper toute difficulté qui pourrait survenir en cas de disparition prématurée du donateur lorsqu’il est l’ « homme clé » de l’entreprise.
En outre, si la transmission par société interposée permet de contourner les difficultés liées à un caractère animateur incertain, elle comporte certaines contraintes notamment en raison de l’obligation de maintenir inchangés les niveaux de participations à chaque degré d’interposition. Précision étant ici faite que depuis le 21 décembre dernier l’administration fiscale a éclairci sa position à ce sujet et interprète cette condition en nombre de titres détenus et non plus en pourcentage de participation.
Le dispositif Dutreil connaît de nombreuses applications possibles dans les groupes de sociétés et nécessite obligatoirement une analyse préalable de l’actionnariat du groupe, de la composition des actifs des sociétés concernées, de leurs activités, des projets de développement ou de réorganisation à moyen terme… afin de déterminer avec précision la voie de transmission la plus adaptée.
L’erreur n’est, en effet, pas permise !
Aucune rectification n’est possible a posteriori lorsque le dispositif du Pacte Dutreil a été positionné au niveau d’une société animatrice dont la qualification serait remise en cause et non au niveau d’une société interposée : c’est la perte inéluctable de l’exonération partielle et la reprise des droits de mutation majorés des pénalités et des intérêts de retard.
Un dirigeant-associé averti en vaut deux.