Le Conseil d’État juge que pour le calcul du prélèvement de l’article 244 bis A du CGI (applicable aux plus-values immobilières réalisées par les non-résidents), le prix d’acquisition à retenir s’entend, en cas de réévaluation libre, de la valeur réévaluée de l’immeuble telle qu’inscrite au bilan. Le fait que le profit résultant de cette réévaluation libre n’ait été imposé ni en France, ni à l’étranger est sans incidence.
Eléments de contexte
Le prélèvement de l’article 244 bis A
Sous réserve de l’application des conventions fiscales internationales, lorsqu’une personne morale non-résidente cède, directement ou indirectement, un immeuble situé en France, elle est soumise au prélèvement de l’article 244 bis A du CGI, en principe au taux normal de l’IS (25 %).
Les modalités de calcul du prélèvement sur les plus-values des personnes morales assujetties à l’impôt sur les sociétés varient selon l’Etat de résidence du cédant :
- Lorsque celui-ci est résident d’un État membre de l’UE ou d’un État de l’EEE ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales et n’étant pas non coopératif, la plus-value est déterminée selon les règles d’assiette et de taux prévues en matière d’impôt sur les sociétés dans les mêmes conditions que celles applicables à la date de la cession aux personnes morales résidentes de France (CGI, art. 244 bis A, III, al 2).
- A défaut, la plus-value est égale au prix de cession du bien diminué de son prix d’acquisition (réduit pour les immeubles bâtis d’une somme égale à 2 % de son montant par année entière de détention – CGI, art. 244 bis A, III, al 1).
Dénonciation de l’ancienne convention fiscale France/Danemark
L’ancienne convention franco-danoise, signée en 1957, prévoyait, de manière singulière, que les plus-values de cession de biens immobiliers français, réalisées par des sociétés de capitaux danoises, étaient exclusivement imposables au Danemark, lequel ne les imposait pas davantage en application de ses règles propres de territorialité de l’impôt.
Cette convention a été dénoncée par le Danemark, avec effet au 1er janvier 2009.
L’Administration a précisé les conséquences de cette dénonciation par une instruction, en indiquant notamment que les cessions de biens immobiliers situés sur le territoire français, réalisées par des résidents danois à compter du 1er janvier 2009, étaient désormais imposables en France, sans restriction, en application des dispositions de l’article 244 bis A du CGI (BOI-INT-CVB-DNK, 28 juillet 2016, §90).
La nouvelle convention franco-danoise (signée en février 2022 et entrée en vigueur le 29 décembre 2023) prévoit, elle, de manière classique, que les plus-values de cession d’un bien immobilier sont imposables dans l’Etat de situation de ce bien immobilier.
Incidences d’une réévaluation libre
Les entreprises ont la faculté – sous réserve du respect d’un certain nombre de conditions – de réévaluer leurs éléments d’actifs (C. com., art. L.123-18, al. 4).
À défaut de texte dérogatoire, lorsqu’une réévaluation se traduit par une augmentation de la valeur des éléments d’actifs, l’écart de réévaluation ainsi constaté augmente l’actif net et constitue un produit immédiatement imposable.
En revanche, elle est susceptible d’entraîner, au titre des exercices postérieurs, un allégement de la charge fiscale, notamment au titre des dotations aux amortissements déductibles, ainsi qu’en cas de cession de l’élément d’actif considéré, puisque la plus-value sera alors calculée sur la différence entre le prix de cession et la valeur réévaluée.
L’histoire
En octobre 2008, une société danoise a acquis, par voie d’apport, un ensemble immobilier en France.
En décembre 2008, elle a procédé à une réévaluation libre de cet immeuble (aboutissant à retenir près du double de sa valeur), et l’a affecté à sa succursale française nouvellement créée.
Cette réévaluation a été fiscalement neutre pour la société danoise : pas d’imposition en France en application des stipulations de la convention franco-danoise alors en vigueur, pas d’imposition au Danemark.
En octobre 2016, la succursale française a cédé l’immeuble.
Lorsqu’elle a entendu mettre en œuvre les dispositions de l’article 244 bis A du CGI, l’Administration a retenu comme prix d’acquisition pour le calcul de la plus-value, non la valeur réévaluée de l’immeuble, mais sa valeur d’apport – mettant ainsi en évidence une plus-value substantielle.
Elle arguait, en substance, que dès lors que le profit résultant de la réévaluation libre n’avait été imposé ni en France, ni au Danemark, il n’y avait pas lieu d’en tenir compte pour le calcul de la plus-value.
La décision du Conseil d’État
Le Conseil d’État ne souscrit pas à l’analyse de l’administration fiscale validée par les juges d’appel.
Il prend, à titre liminaire, le soin d’indiquer :
- S’agissant du sort du profit résultant de la réévaluation libre, par une société non-résidente, d’un bien immobilier situé en France inscrit à son actif : Il s’agit d’un revenu d’immeuble au sens de l’article 164 B, I, a du CGI, passible de l’IS en France, dans les conditions de l’article 209 du CGI, au titre de l’exercice au cours duquel cette réévaluation a été effectuée, sous réserve des stipulations de la convention fiscale applicable le cas échéant ;
- S’agissant des modalités de calcul du prélèvement de l’article 244 bis A du CGI, lorsque le cédant est un non-résident personne morale : le prix d’acquisition s’entend de la valeur d’origine inscrite à l’actif du bilan du redevable du prélèvement ; en cas de réévaluation libre, ce prix d’acquisition s’entend de la valeur réévaluée pour laquelle le bien est inscrit au bilan après cette réévaluation.
Il juge ensuite que la circonstance, au cas d’espèce, que le profit résultant de la réévaluation libre du bien immobilier n’ait été imposé ni en France, par application de la convention franco-danoise, ni au Danemark, ne saurait faire obstacle à la prise en compte, pour le calcul du prélèvement de l’article 244 bis A, de la valeur comptable réévaluée de l’immeuble pour la fixation du prix d’acquisition.