La CJUE vient de déclarer irrecevable la question préjudicielle portant sur la compatibilité à la liberté de circulation des capitaux des modalités de mise en œuvre de la procédure de demande de justification prévue à l’article L. 23 C du LPF et de taxation d’office, le cas échéant, des avoirs détenus dans des comptes étrangers non déclarés, qui lui avait été adressée, le 24 février 2024, par le Tribunal Judiciaire de Nanterre.
Eléments de contexte
Les personnes physiques, les associations, les sociétés n’ayant pas la forme commerciale, domiciliées ou établies en France, sont tenues de communiquer, en même temps que leur déclaration de revenus ou de résultats, les références des comptes bancaires ouverts, détenus, utilisés ou clos à l’étranger (CGI, art. 1649 A, al. 2).
Le défaut de déclaration est notamment sanctionné par l’application d’une amende forfaitaire d’un montant de 1.500 € (pouvant être porté à 10.000 € lorsque le compte est situé dans un Etat n’ayant pas conclu avec la France une convention d’assistance administrative permettant l’accès aux renseignements bancaires). Surtout, les sommes, titres ou valeurs transférés à l’étranger ou en provenance de l’étranger par l’intermédiaire d’un compte bancaire non déclaré, constituent, sauf preuve contraire, des revenus imposables.
De plus, l’Administration peut demander aux personnes physiques n’ayant pas satisfait – au moins une fois au titre des 10 années précédentes – à cette obligation déclarative, des informations ou justifications sur l’origine et les modalités d’acquisition des avoirs placés sur les comptes dissimulés (LPF, art. L. 23 C).
A défaut de réponse dans un délai de 60 jours (90 jours en cas de réponse insatisfaisante), les avoirs figurant sur le compte étranger sont réputés constituer, sauf preuve contraire, un patrimoine acquis à titre gratuit soumis à l’imposition au taux de 60 % (LPF, art. L. 71, CGI, art. 755 et 777).
Par ailleurs, les dispositions de l’article L. 181-0 A du LPF prévoient que le droit de reprise de l’Administration peut s’exercer jusqu’au 31 décembre de la 10e année suivant le fait générateur lorsque l’exigibilité des impôts ou droits relatifs à des avoirs détenus à l’étranger n’a pas été suffisamment révélée dans le document enregistré ou présenté à la formalité. La Cour de cassation a précisé que le fait générateur de l’imposition correspond à la date d’expiration des délais prévus à l’article L. 23 C du LPF, et constitue le point de départ de la prescription décennale (Cass. Com. 16 décembre 2020, n°18-16.801).
La question préjudicielle transmise par le Tribunal Judiciaire de Nanterre le 24 février 2024
Le Tribunal Judiciaire de Nanterre a transmis, le 24 février 2024, une question préjudicielle à la CJUE, portant sur la conformité de la procédure de taxation d’office des avoirs détenus dans des comptes étrangers non déclarés à la liberté de circulation des capitaux garantie par l’article 63 du TFUE.
Le Tribunal soulignait, à cet égard, que le législateur a institué un délai de prescription prolongé, d’une durée de 10 ans, dérogatoire au droit commun, qui, s’il ne paraît pas, de par sa durée, aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs qu’il s’est fixé, permet cependant à l’Administration, en ce qu’il a pour point de départ la date d’expiration des délais prévus à l’article L. 23 C du LPF, autrement dit un point de départ décorrélé de la date d’acquisition des avoirs détenus à l’étranger et des années au titre desquelles l’imposition de ces sommes était normalement due, de demander au contribuable de justifier de l’origine et des modalités d’acquisition desdits avoirs, y compris lorsqu’ils sont entrés dans son patrimoine plus de 10 ans avant la mise en œuvre de la procédure prévue à l’article L. 23 C du livre des procédures fiscales, soit au cours d’une période prescrite et sans limitation de temps.
Il a donc adressé les 2 questions suivantes à la CJUE :
- Le principe de libre circulation des capitaux garanti par l’article 63 du TFUE doit-il être interprété en ce sens qu’il permet la taxation d’office prévue par les dispositions de l’article 755 du CGI, des avoirs détenus à l’étranger, qui n’ont pas été déclarés dans les conditions de la procédure prévue à l’article L. 23 C du LPF, et dont l’origine et les modalités d’acquisition n’ont pas été justifiées, alors qu’il induit un effet d’imprescriptibilité lorsque le contribuable justifie que ces avoirs sont entrés dans son patrimoine au cours d’une période prescrite ?
- Dans l’hypothèse où il serait répondu négativement à cette question, doit-il en être déduit que toute procédure de rectification fondée sur les dispositions précitées doit être annulée, et ce quand bien même, lorsque dans le cas soumis au contrôle de l’administration fiscale, aucun effet d’imprescriptibilité n’est induit ?
La décision d’irrecevabilité rendue par la CJUE
Le 20 mars 2025, la CJUE a conclu à l’irrecevabilité de ces questions préjudicielles, en se fondant, en substance sur les éléments suivants :
- S’agissant de la 1re question préjudicielle :
- Le Tribunal Judiciaire de Nanterre n’a pas exposé de manière suffisante les éléments du cadre juridique national, le déroulement de la procédure devant l’Administration, ainsi que les raisons qui l’ont conduit à s’interroger sur l’interprétation de l’article 63 du TFUE (liberté de circulation des capitaux) dans le litige au principal ;
- De plus, la demande ne contient aucune information sur le cadre juridique national applicable aux avoirs détenus dans un établissement financier en France – de sorte qu’il n’est pas possible à la CJUE de se prononcer sur l’existence d’un traitement moins favorable des contribuables détenant des avoirs auprès d’un établissement financier établi dans un autre État membre par rapport aux contribuables détenant des avoirs auprès des établissements financiers établis en France.
- S’agissant de la 2de question préjudicielle :
- Selon le Tribunal Judiciaire de Nanterre, cette 2de question n’appelait de réponse qu’en cas de réponse négative à la 1re question – laquelle a été déclarée irrecevable par la Cour.
La CJUE prend cependant le soin de rappeler que la juridiction de renvoi conserve la faculté de soumettre une nouvelle demande de décision préjudicielle, à charge pour elle de lui fournir l’ensemble des éléments nécessaires (voir en ce sens, CJUE, 11 septembre 2019, aff. C-676/17, Cälin).