Le Conseil d’État valide l’application de la RAS de 15 % aux dividendes de source française perçus par une caisse de retraite coréenne, au regard du droit français, du droit de l’UE et du droit conventionnel.
À l’issue d’une vérification de comptabilité portant sur l’année 2013, l’administration fiscale a réclamé à la caisse de retraite en charge du régime général d’assurance vieillesse de Corée du Sud, le paiement de la RAS alors fixée à 30 % au titre des dividendes que la caisse avait perçus de sociétés françaises par application de l’article 119 bis 2 du CGI.
À la suite d’une réclamation préalable, l’Administration ramène ce taux à 15 %. Estimant être en droit de bénéficier d’une exonération totale, la caisse présente une nouvelle réclamation sans obtenir gain de cause devant les juges du fond.
Le Conseil d’État rejette également sa demande mais apporte des précisions sur les modalités d’imposition des dividendes de source française versés à une caisse de retraite établie en Corée du Sud au regard du droit interne, du droit de l’UE et du droit conventionnel.
Au regard du droit interne : L’imposition des dividendes perçus par la caisse de retraite étrangère au taux de 15 % n’entraîne pas un traitement défavorable par rapport aux organismes de retraite français
Le Conseil d’Etat rappelle que les organismes sans but lucratif établis en France ayant pour objet de servir des pensions de retraite sont assujettis à l’IS au taux de 15 % à raison des dividendes de source française perçus (lecture combinée des articles 206, 5 et 219 bis du CGI).
Il indique par ailleurs que ces dispositions s’appliquent y compris lorsque les dividendes perçus sont ultérieurement affectés à la réalisation de l’activité de l’organisme lui permettant de disposer des ressources nécessaires à l’accomplissement de sa mission, puisque ces dividendes ne peuvent être intrinsèquement considérés comme découlant de l’activité de l’organisme.
Par conséquent, les dividendes perçus par la caisse de retraite coréenne et ceux perçus par les organismes de retraite français sont soumis au même taux d’imposition (15 %).
Au regard du droit de l’UE : La charge fiscale supportée par la caisse de retraite étrangère est compatible avec le principe de libre circulation des capitaux
Par principe, lorsqu’un contribuable conteste l’imposition à laquelle il a été assujetti sur ses revenus de source française, au regard du principe européen de la libre circulation des capitaux, il convient de comparer la charge fiscale supportée par ce contribuable à celle supportée par un contribuable résident de France placé dans une situation comparable.
Le Conseil d’État juge que l’imposition de 15 % à laquelle a été soumise in fine la caisse de retraite coréenne pour ses revenus de source française n’entraîne pas une discrimination incompatible avec la libre circulation des capitaux, puisque son traitement fiscal n’est pas défavorable par rapport à celui des organismes de retraite français.
Il rejette ainsi les comparables utilisés par la caisse de retraite coréenne, estimant que sa situation ne pouvait être assimilée à celle :
- d’une fondation reconnue d’utilité publique (exonérée d’IS en vertu de l’art. 206, 5 du CGI) ;
- du fonds de réserve pour les retraites (exonéré d’IS en vertu de l’art. 6, III de la loi du 17 juin 2001) ;
- d’un organisme de placement collectif (exonéré de RAS en vertu de l’art. 119 bis, 2 du CGI).
Le Conseil d’État précise que dans l’hypothèse où un contribuable étranger a reçu un traitement fiscal défavorable il convient de procéder au dégrèvement de l’imposition en litige afin de rétablir une équivalence de traitement avec le contribuable français placé dans une situation comparable (i.e. dégrèvement partiel ou total selon les cas).
Le Conseil d’État ferme ainsi la porte à une éventuelle extension de sa jurisprudence AVM international, dans laquelle il avait jugé que l’incompatibilité des dispositions de l’article 244 bis B du CGI avec le droit de l’UE devait donner lieu à la restitution intégrale de l’imposition mise à la charge de la société mère européenne (CE, 14 octobre 2020, n°421524, Sté AVM International Holding) – suivant en ce sens les conclusions du rapporteur public, Céline Guibé selon lesquelles « cette thèse aboutit à créer mécaniquement une discrimination à rebours en défaveur des organismes français et européens ».
Au regard du droit conventionnel : Non applicabilité de la clause conventionnelle de non-discrimination dans le cas d’une caisse de retraite
La convention franco-coréenne prévoit en son article 24 une clause de non-discrimination en vertu de laquelle les nationaux d’un Etat ne sont pas assujettis à une imposition plus lourde, dans l’autre Etat, que celle à laquelle sont assujettis les nationaux de l’autre Etat se trouvant dans la même situation.
Le Conseil d’Etat rejette en l’espèce l’application de la clause conventionnelle estimant qu’une « caisse de retraite gérant un régime obligatoire d’assurance vieillesse établie en Corée ne se trouve pas dans la même situation qu’une caisse de retraite gérant un régime obligatoire d’assurance vieillesse établie en France, eu égard notamment aux bénéfices que les assurés français peuvent en retirer. »
Le Conseil d’État s’inscrit ainsi dans la droite ligne des commentaires OCDE, qui prévoient que les Etats ne sont pas tenus d’appliquer ces dispositions (i) aux organismes ou services publics (intrinsèquement incomparables) ou (ii) aux établissements privés sans but lucratif et dont l’activité s’exerce pour des fins d’utilité publique puisque les avantages fiscaux dont un État fait bénéficier certains établissements privés trouvent leur fondement dans la nature même de l’activité qu’ils exercent et dans le bénéfice que cet État et ses ressortissants sont appelés à en retirer (Convention modèle OCDE, 2017, art. 24, § 10-13).
Avis du praticien : Hélène Alston
Cet arrêt met fin à un long contentieux opposant le NPS (Caisse de retraite en charge du régime général d’assurance vieillesse de Corée du Sud) à l’administration française. Bien que cet arrêt refuse d’accorder une exonération sur les dividendes perçus par le NPS, il consacre la possibilité de comparer un organisme de retraite étranger à un organisme sans but lucratif français. En revanche, il confirme la non-éligibilité de ce type d’organismes aux conventions fiscales (sauf dispositions particulières). Compte tenu du nombre de moyens mis en avant par le NPS, tous revus et rejetés par le Conseil d’Etat, cet arrêt semble mettre un terme, pour l’instant, à l’espoir d’organismes similaires de se voir appliquer un régime d’exonération sur les dividendes tirés de leurs investissements français.