Rédaction de la garantie de passif : ce qui est clairement stipulé ne s’interprète pas en dépit de ses conséquences financières

La Cour de cassation vient de rappeler que la précision d’une clause de garantie de passif est cruciale : elle fait, à juste titre, primer la cohérence des clauses. Cet arrêt renforce la sécurité juridique… et attire l’attention sur le rôle du « bon » rédacteur d’acte car il n’entre pas dans la mission du juge de corriger des clauses défaillantes sous couvert d’une réinterprétation de la volonté des parties.

Les origines de l’affaire

L’histoire est plutôt ordinaire : un cédant est appelé au titre de la garantie de passif à laquelle il avait consenti. Il verse le montant prévu mais demande ensuite un « rabais », au motif qu’il y avait eu également annulation d’une provision, et donc, corrélativement, une diminution du passif garanti.

L’acquéreur lui restitue le montant de la provision annulée mais il en déduit le surplus d’imposition que la reprise sur provision avait entraîné. Il argue que ce surplus d’imposition venait réduire l’augmentation d’actif corrélatif à la reprise de provision. En dépit d’un argument très logique comptablement (et économiquement !), l’acquéreur n’aura pourtant pas gain de causes en raison des clauses de la garantie de passif.

Pour comprendre cette décision, il faut s’arrêter sur les clauses propres au cas d’espèce.

Rappel des faits

Un cédant, nous l’avons indiqué précédemment, consent une convention de garantie de passif au bénéfice d’un acquéreur dans le cadre d’une cession de titres.

Ladite convention de garantie de passif stipule notamment :

A l’article 2.1.2 (ii) que
« le montant de tout Préjudice sera réduit à due concurrence du montant de toute économie d’impôt effectivement constatée »

A l’article 2.1.2 (iii) que
« le montant de tout Préjudice sera[it] réduit à concurrence du montant de toute reprise de la provision constituée au titre des paiement dus à la société BGL »

Le cédant, appelé en garantie au titre de ladite convention, s’exécute puis invoque cet article 2.1.2 (iii) afin que lui soit restitué une somme correspondant au montant d’une provision annulée (reprise de provision) qui avait été comptabilisée avant la cession pour une dette ancienne envers la société (1.252.555,41 euros).

L’acquéreur fait valoir que cette reprise de provision constitue pour la société un produit taxable et invoque en retour l’article 2.1.2 (ii) pour ne rembourser que le montant de la provision annulée déduction faite du surplus d’impôt sur les sociétés correspondant (430.963 euros).

Le cédant intente une action en restitution afin de récupérer ladite somme de 430.963 euros.

La Cour d’Appel de Paris fait droit à cette demande au motif, notamment, qu’il « n’y a[vait] pas matière à interprétation » de la clause 2.1.2 (iii) qui évoque « en des termes clairs » les modalités de la prise en compte de la provision BGL, sans aucune mention de la façon dont les conséquences fiscales auraient un effet sur cette obligation de garantie. L’acquéreur se pourvoit en cassation et soutient :

D’une part, que la clause prévoyant les conséquences d’une reprise de provision ne mentionnant pas le traitement fiscal correspondant imposait au juge de rechercher la commune intention des parties car cette absence de prévision la rendait imprécise ;

D’autre part, l’usage en matière de garantie de passif devait être recherché par le juge puisqu’il devait caractériser la volonté des parties insuffisamment précisé par la clause litigieuse.

La Cour de Cassation rejette le pourvoi et confirme la solution des juges d’appel :

  • il existait une provision correspondant à la dette envers la société BGL qui était bien valorisée à hauteur de 1.252.555,41 euros avant la mise en jeu de la garantie de passif 
  • « que la généralité de l’article 2.1.2, (ii), stipulant que « le montant de tout Préjudice sera réduit à due concurrence du montant de toute économie d’impôt effectivement constatée », ne suffit pas à le rendre applicable au cas de la reprise de la provision BGL, dès lors que la situation de cette provision est traitée dans une clause spécifique, distincte de la clause relative aux économies d’impôts, qu’elle évoque en des termes clairs les modalités de la prise en compte de cette provision et ne comporte aucune référence au paragraphe (ii), cette clause particulière (iii) se suffisant à elle-même pour son application ; » 
  • « que les parties sont convenues de réserver un sort spécifique à cette écriture comptable, sans y attacher les incidences fiscales qu’elles ont prises en compte pour d’autres événements ; qu’en cet état, la cour d’appel a exactement retenu qu’il n’y avait pas lieu à interprétation des stipulations d’une clause dépourvue d’ambiguïté et n’était, dès lors, pas tenue de procéder à la recherche, inopérante, invoquée »

Décryptage de la décision

La chambre commerciale fait ici une interprétation stricte voire littérale des stipulations de la convention de garantie de passif. La clause spécifique relative à la reprise de provision ne visant pas les conséquences fiscales de son annulation, le montant de la provision reprise (et donc réinscrite en produit au compte de résultat) devait être restitué sans souffrir d’une diminution liée à son impact en termes d’impôt sur la société.

Comment justifier cette solution alors que la garantie de passif stipulait par ailleurs, en son article 2.1.2 (ii), la prise en compte du montant de toute économie d’impôt sur la détermination du montant du Préjudice.

Deux arguments peuvent être avancés. En premier lieu, si la garantie de passif mentionnait la prise en compte de toute « économie d’impôt » dans la détermination du préjudice, c’était là, la seule prise en compte des conséquences fiscales des évènements affectant la détermination de l’obligation de garantie. En toute hypothèse, quand bien même cette clause eut-elle été jugée d’application générale, elle ne visait pas la situation qui s’est présentée (un surplus d’imposition, et non une économie !). En second lieu, et c’est le terrain sur lequel se place la Cour de cassation, la clause invoquant le traitement fiscal des événements affectant la garantie ne peut pas être considérée comme générale et s’appliquant à l’ensemble des situations de détermination de l’obligation de garantie, puisqu’elle vise une hypothèse singulière, distincte de celle de la reprise de provision.

En outre, le fait que ces stipulations particulières fassent l’objet d’articles séparés dans la convention, ne peut que conforter la lecture qu’en fait le juge : les parties ayant prévues des clauses spécifiques pour traiter de situations particulières, il n’est pas possible d’en faire une lecture combinée. Sans aucun doute, cela reviendrait à dénaturer le sens clair et précis des clauses contractuelles. Mais cette solution est dictée par le fait que les clauses, dépourvues en elle-même d’ambiguïté, étaient étroitement rédigées, de sorte qu’une extrapolation large aurait amené le juge à réinventer la commune intention des parties. Il n’en serait évidemment pas ainsi si les clauses avaient manqué de clarté, ouvrant alors la possibilité d’une interprétation en recherchant la commune intention des parties. Observons cependant que cette interprétation pouvait aussi bien amener le juge à la même solution.

Dès lors, cela doit conduire à redoubler de vigilance dans la rédaction des stipulations spécifiques qui sont insérées au fil des négociations du SPA et de la garantie de passif : le champ d’application des clauses doit être soigneusement pesé, négocié, et retranscrites avec précision. Des indications permettant d’orienter l’interprétation du juge au travers, par exemple, d’un préambule ou d’un exposé des objectifs de la conclusion du contrat peuvent aussi être envisagées, anticipant alors l’hypothèse où le juge estimerait que les clauses ne sont pas claires.

Photo d'Arnaud Raynouard
Arnaud Raynouard

Professeur des Universités à l’Université Paris-Dauphine, Arnaud Raynouard anime le Comité Scientifique Juridique du cabinet Deloitte Société d’Avocats. Agrégé en droit privé et sciences criminelles, et diplômé en gestion, Arnaud […]