Suppression du « verrou de Bercy » : incidences d’une déclaration rectificative

La Cour de cassation juge qu’une déclaration rectificative spontanée effectuée par le contribuable, mais rejetée par l’Administration, ne lui permet pas d’échapper au mécanisme de dénonciation au procureur de la République des faits de fraude fiscale les plus graves (LPF, art. L. 228).

Rappel

La loi relative à la lutte contre la fraude (n°2018-898 du 23 octobre 2018), a rendu obligatoire la transmission automatique au Procureur de la République des affaires examinées par l’Administration, ayant conduit à des rappels d’impôts supérieurs à 100 k€ et accompagnés de majorations fiscales significatives (100 % ou 80 %, ou dans certains cas et sous conditions – de réitération notamment sur une période de 6 ans  – de 40 %), alors qu’elle disposait, auparavant du monopole des poursuites pour fraude fiscale (suppression du « verrou de Bercy »).

Le texte prévoit toutefois que le dispositif de dénonciation obligatoire ne s’applique pas aux contribuables qui déposent spontanément une ou plusieurs déclarations destinées à rectifier leur situation fiscale antérieure. Dans cette dernière hypothèse, sous peine d’irrecevabilité, l’exercice de l’action publique doit être précédé d’une plainte de l’administration fiscale.

Dans ses commentaires du dispositif au BOFiP, l’Administration retient néanmoins une définition stricte de la démarche spontanée, dans la mesure où elle ne comprend pas le dépôt d’une déclaration initiale/rectificative alors que :

  • Un contrôle fiscal est en cours ;
  • Le contribuable a reçu un avis de vérification ;
  • Le contribuable fait l’objet d’une procédure d’enquête administrative ou judiciaire (BOI-CF-INF-40-10-10-15-27/06/2019, n°160).

L’histoire

En février 2017, un contribuable a informé l’Administration de son intention de bénéficier du dispositif de régularisation des avoirs détenus à l’étranger (procédure temporaire qui permettait à l’époque aux contribuables détenant des avoirs non déclarés à l’étranger de régulariser spontanément leur situation, en contrepartie du paiement de pénalités d’un montant réduit).

Dans ce cadre, il a déposé une déclaration rectificative de ses revenus pour l’année 2016, prenant en compte les revenus perçus sur un compte suisse, ainsi qu’un dossier de régularisation fiscale concernant l’IR des années 2014 et 2015, qui précisait l’origine des avoirs détenus sur le compte suisse.

L’administration fiscale a toutefois rejeté cette demande de régularisation, au motif que les avoirs détenus en Suisse étaient constitutifs d’une activité occulte.

Elle a engagé, en janvier 2018, un ESFP, portant sur les années 2015 et 2016, avant de lui adresser, en décembre 2018, des propositions de rectification.

Eu égard au montant des rappels d’impôts et des pénalités appliquées, l’Administration a dénoncé au Procureur de la République, sur le fondement de l’article L. 228 du LPF, les faits de fraude fiscale par dissimulation de sommes sujettes à l’IR (et par omission déclarative des BNC et de TVA).

Des poursuites ont été engagées devant le tribunal correctionnel.

Le contribuable a alors soulevé une exception de nullité, arguant que le mécanisme de dénonciation obligatoire n’était pas applicable au cas d’espèce, dès lors qu’il avait spontanément déposé une déclaration rectificative (avant l’engagement de tout contrôle fiscal).

Le tribunal correctionnel a fait droit à cette exception de nullité, a annulé la totalité de la procédure pénale, et ordonné la restitution des biens et avoirs saisis.

La décision de la Cour de cassation

La Cour de cassation, devant laquelle le litige a été porté, se saisit de l’occasion pour préciser l’articulation de l’exception relative aux cas de dépôt spontané d’une déclaration rectificative relevant du pouvoir de transaction de l’Administration avec l’obligation de dénonciation des faits de fraude fiscale au Procureur de la République.

Elle rappelle que l’objectif du mécanisme de dénonciation obligatoire prévu à l’article L. 228 du LPF est de soumettre au Procureur de la République les faits de fraude fiscale les plus graves dont l’administration fiscale a connaissance.

Dès lors que l’exonération des poursuites pénales dont peut bénéficier le contribuable qui a déposé spontanément une déclaration rectificative constitue une exception au mécanisme de dénonciation obligatoire, une telle exception doit être appréciée strictement.

Ainsi, la Cour de cassation juge qu’elle ne saurait s’appliquer dans le cas où une déclaration rectificative – certes spontanée – aurait été rejetée par l’Administration préalablement à la transmission au Parquet.

Elle précise par ailleurs qu’il n’appartient pas au juge pénal d’apprécier la validité du rejet de la déclaration rectificative déposée spontanément par des contribuables, laquelle relève du seul contrôle du juge de l’impôt.   

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.