L’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 poursuit notamment un objectif de renforcement de la prévention dans les termes fixés par la directive (UE) 2019/1023 mais surtout, elle s’inscrit, plus généralement, dans l’un des grands principes du droit français des entreprises en difficulté, visant à une meilleure anticipation/prévention des difficultés rencontrées par les débiteurs. Nous revenons ici sur les différentes améliorations proposées par l’ordonnance à cet égard.
Une évolution progressive
La Directive « Restructuration et insolvabilité » du 20 juin 2019 (n°2019/1023) insiste sur l’importance pour le marché unique que les Etats membres se dotent de « cadres de restructuration préventive efficaces au niveau national » devant « permettre aux débiteurs de se restructurer efficacement à un stade précoce et d’éviter l’insolvabilité, limitant ainsi la liquidation inutile d’entreprises viables », « prévenir les suppressions d’emplois et les pertes de savoir-faire et de compétences, et optimiser la valeur totale pour les créanciers, ainsi que pour les propriétaires et l’économie dans son ensemble ».
La définition d’une procédure préventive au sens de la directive européenne diffère cependant de celle du législateur français. En effet, au sens du droit de l’Union, la procédure préventive doit, par exemple, permettre au débiteur de bénéficier d’une suspension des poursuites individuelles, ou encore d’imposer un plan de restructuration à des parties affectées récalcitrantes.
Du point de vue du législateur français, de tels outils visent une prévention des difficultés encore plus précoce. Dès 1994, et de manière plus significative encore depuis 2005, il a introduit dans le code de commerce des outils, déjà éprouvés depuis longtemps par la pratique, destinés à faciliter un traitement le plus en amont possible des difficultés que peut rencontrer une société (y compris, et surtout, en dehors de tout cadre collectif).
Dans le rapport au Président de la République, il est indiqué à ce titre que la procédure de sauvegarde accélérée a été réaménagée par l’ordonnance n° 2021-1193 de manière à rentrer dans le cadre de la restructuration préventive au sens de la Directive. Cela s’est notamment traduit par la constitution automatique de classes de parties affectées en cas d’ouverture d’une telle procédure (L’instauration de « classes de parties affectées » et la prise en compte du principe du « meilleur intérêt des créanciers »). L’ordonnance du 15 septembre dernier va néanmoins plus loin et poursuit dans la voie d’une meilleure prévention des difficultés, au sens français du terme cette fois-ci, en aménageant les procédures déjà existantes de manière à favoriser une intervention en amont en permettant l’accélération de certains processus et en proposant de nouveaux mécanismes incitatifs.
Une accélération de plusieurs processus permettant un traitement plus rapide des difficultés
Le code de commerce prévoit déjà une procédure dite d’alerte, permettant notamment au commissaire aux comptes d’informer le président du tribunal de commerce de faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation de la société relevée lors de l’exercice de sa mission. Les textes applicables indiquent que lorsque le commissaire aux comptes constate de tels faits, les dirigeants ont un délai de quinze jours pour lui apporter toutes réponses devant lui permettre de s’assurer de la continuité de l’exploitation. A défaut d’une telle assurance, le commissaire aux comptes pourra poursuivre ses démarches et notamment mettre le président du tribunal de commerce en copie de tout échange à ce sujet avec les dirigeants, il pourra également informer le Procureur de la République.
En plus de ce dispositif d’alerte, la réforme prévoit désormais que, sans attendre les délais mentionnés ci-dessus, parce que l’urgence commande l’adoption de mesures immédiates et que le dirigeant s’y refuse ou fait savoir qu’il envisage des mesures jugées insuffisantes par le commissaire aux comptes, ce dernier pourra, dès la première information faite aux dirigeants, notamment dans le cadre de la procédure d’alerte, mettre le président du tribunal de commerce en copie de ses échanges avec les dirigeants.
Dans la même optique, le président du tribunal de commerce est désormais en mesure de demander la communication d’informations auprès de tous tiers concernant un débiteur lorsqu’il a connaissance de difficultés de nature à compromettre la continuité de l’exploitation et ce, dès la convocation de ses dirigeants par le président du tribunal (et non plus seulement à l’issue d’un entretien avec les dirigeants, ou lorsque ceux-ci ne se sont pas rendus à sa convocation).
L’ordonnance prévoit enfin que la période d’observation en sauvegarde sera ramenée à une durée maximale de 12 mois à compter du jugement d’ouverture, et ne pourra plus, comme c’est encore possible dans le cadre d’un redressement judiciaire, être prolongée à la demande du Procureur de la République par décision du tribunal pour une durée maximale de 6 mois supplémentaires. On assiste donc à un raccourcissement des délais dans lesquels les commissaires aux comptes et les présidents des tribunaux de commerce vont pouvoir utiliser les leviers à leur disposition pour traiter activement des difficultés des entreprises dont ils ont connaissance, même si les dirigeants, souvent frappés de dénis, tardent à agir.
De nouveaux mécanismes incitatifs destinées à traiter les difficultés des entreprises le plus en amont possible.
Nous l’avons vu dans un précédent article, l’ordonnance a pérennisé le privilège de post money constituant un mécanisme incitatif important pour obtenir de nouveaux financements en période d’observation ou pendant l’exécution du plan, notamment en procédure de sauvegarde, étant rappelé que les procédures de sauvegarde sont ouvertes alors même que le débiteur n’est pas en état de cessation des paiements.
D’autres mécanismes incitatifs visent l’ouverture de procédures de conciliation, à la main du débiteur. L’article L611-7 du Code de commerce prévoit désormais que le débiteur peut demander au juge qui a ouvert la procédure de conciliation de lui octroyer des délais de paiements (article 1343-5 du Code civil) à l’encontre du créancier qui n’a pas accepté, dans le délai imparti par le conciliateur, la demande faite par ce dernier de suspendre l’exigibilité de sa créance.
Le décret n° 2021-1218 du 23 septembre 2021 amorce quant à lui l’idée d’un contrôle des frais de restructuration mis à la charge du débiteur par le tribunal. Le débiteur établit un état de l’intégralité des frais mis à sa charge (comprenant notamment toute rémunération du conciliateur, des conseils du débiteur et de tout intervenant ou expert, mais également tout honoraire des conseils des créanciers devant être pris en charge par le débiteur) qu’il doit déposer au greffe avant tout constat ou homologation d’un accord de conciliation. Cette disposition va sans doute entraver la pratique de place actuelle issue des contrats de financement bancaire qui imposent aux débiteurs la prise en charge de tous les frais de recouvrement des banques, notamment ceux de leurs conseils.
Si la précocité des interventions est un gage d’amélioration du traitement des difficultés des entreprises, le droit français, et celui de l’Union, s’est indiscutablement enrichi techniquement mais il reste à l’ensemble des acteurs de s’en saisir utilement.
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