Faculté pour le cédant d’une créance de CIR de se prévaloir devant le juge de la réclamation formée préalablement par le cessionnaire

Le Conseil d’État juge, pour la 1re fois à notre connaissance, que la société qui a cédé sa créance de CIR à un établissement de crédit dans le cadre d’une cession « Dailly », peut se prévaloir de la réclamation préalable formée par l’établissement de crédit cessionnaire, pour saisir directement le TA aux fins d’obtenir le remboursement de ladite créance de CIR. Il n’est donc pas nécessaire qu’elle ait déposé une réclamation préalable en son nom propre.

Eléments de contexte

Utilisation du CIR

Le crédit d’impôt recherche est imputé sur l’impôt dû par l’entreprise au titre de l’année au cours de laquelle les dépenses de recherche ont été exposées.

Le montant excédentaire non imputé constitue une créance sur l’État, qui peut être utilisée pour le paiement de l’impôt dû au titre des 3 années suivant celle au titre de laquelle elle est constatée. La fraction non utilisée à l’expiration de cette période est remboursée sur demande du contribuable (hors cas de figures spécifiques permettant le remboursement immédiat de la créance).

La créance de CIR est, en principe, inaliénable et incessible. Par dérogation, et à l’instar de certaines autres créances fiscales, elle peut être mobilisée auprès d’un établissement de crédit dans le cadre du dispositif spécifique de « cession Dailly » ou cédée à un organisme de titrisation.

Régime spécifique des cessions de créances « Dailly »

Ce régime (encadré par les dispositions des articles L. 323-23 et suivants du CMF) permet aux entreprises de mobiliser leurs créances professionnelles en les cédant ou en les donnant en nantissement à un établissement de crédit, en échange d’un financement de court terme.

La cession des créances résulte de la seule remise d’un bordereau, qui entraîne le transfert au cessionnaire de la propriété de la créance cédée, le cédant demeurant – sauf convention contraire – garant solidaire de la créance cédée.

Ce mécanisme est susceptible de s’appliquer aux créances fiscales sur l’Etat (créances découlant de divers crédits d’impôt, créance de carry-back ou encore crédits de TVA).

A cet égard, il a été jugé que :

La question portait, au cas d’espèce, sur la configuration inverse : la faculté pour le cédant de se prévaloir de la réclamation préalable formée par l’établissement bancaire cessionnaire pour introduire une instance devant le TA. Des solutions divergentes ont, jusqu’à présent, été retenues sur ce point par les juridictions du fond (pro : CAA Bordeaux, 9 juillet 2024, n°23BX00290 et 23BX00291 – contra : TA Cergy Pontoise, 15 novembre 2022, n°1915862).

L’histoire

En juin 2016 et en janvier 2017, une société a cédé à un établissement de crédit, dans le cadre d’une cession « Dailly », les créances de CIR dont elle s’estimait titulaire au titre des exercices 2014 et 2015.

En 2019 et 2020, l’établissement de crédit a sollicité auprès de l’Administration le remboursement de ces créances de CIR 2014 et 2015 (rappelons qu’une demande de remboursement de CIR vaut réclamation préalable au sens de l’article L. 190 du LPF).

L’Administration n’ayant que partiellement fait droit à ces demandes de remboursement, la société cédante a elle-même saisi le TA, lequel a jugé la demande irrecevable, faute pour la société d’avoir présenté une réclamation préalable en son nom propre.

La décision du Conseil d’État

Le Conseil d’État rappelle que lorsqu’une cession de créance « Dailly » intervient avant la saisine du tribunal afin d’obtenir remboursement de la créance de CIR, l’établissement de crédit cessionnaire comme le cédant, ont qualité pour agir devant le juge de l’impôt afin d’obtenir le paiement de cette créance, indépendamment des procédures de notification de la cession de créance ou d’acceptation de cette cession par le débiteur.

Il juge ensuite, de manière nouvelle, que pour justifier de la recevabilité de la saisine du TA tendant au paiement de la créance qu’elle a cédée, l’entreprise cédante peut se prévaloir de la réclamation préalable adressée à l’administration fiscale par l’établissement de crédit cessionnaire.

Ainsi que le souligne le rapporteur public dans ses conclusions, cette solution devrait pouvoir être étendue aux autres créances fiscales susceptibles de faire l’objet de cessions « Dailly ».

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.

Béatrice Prim

Béatrice, Avocate Directeur rattachée à l’équipe R&D depuis 2010, conseille ses clients en matière de CIR (sécurisation, défense lors des contrôles fiscaux) et coordonne des missions sur les régimes incitatifs à […]