Abandon de créance consenti par une société holding : quelle qualification retenir ?

La CAA de Nantes apporte d’intéressantes précisions sur les modalités d’appréciation du caractère commercial ou financier d’un abandon de créance consenti par une société holding à ses filiales.

Rappel

Pour mémoire, pour les exercices clos depuis le 4 juillet 2012, les aides consenties à une autre entreprise qui ne présentent pas un caractère commercial ne sont pas déductibles, sauf à être accordées à une entreprise en difficulté financière soumise à une procédure collective ou de liquidation (2e LFR 2012, art. 17). En l’état du droit antérieur, l’entreprise qui consentait à une de ses filiales un abandon de créances à caractère financier avait le droit de le déduire fiscalement, sous certaines conditions, tandis que le bénéficiaire devait le prendre en compte dans ses résultats imposables dès lors qu’il entraînait une diminution de son passif et, par suite et à due concurrence, une augmentation de son actif net au sens de l’article 38, 2 du CGI.

On considère généralement que présente un caractère commercial un abandon de créance qui trouve son origine dans des relations commerciales entre deux entreprises et qui est consenti soit pour maintenir des débouchés, soit pour préserver des sources d’approvisionnement (BOI-BIC-BASE-50-10, 29 janvier 2013, n°120). A l’inverse, un abandon de créance sera regardé comme revêtant un caractère financier lorsqu’il est accordé par une entreprise en vue de sauvegarder la valeur de ses participations, en assurant la pérennité d’une filiale.

Cela étant, confrontées en pratique à une imbrication de relations commerciales et de relations financières entre la société mère et sa filiale, la jurisprudence (CE, 27 juin 1984, n°35030), comme la doctrine administrative (BOI-BIC-BASE-50-10, 29 janvier 2013, n°140), prescrivent de rechercher quels sont les motifs prépondérants qui ont conduit à l’octroi de l’aide.

L’histoire

Une société holding effectuait au bénéfice de ses filiales des prestations de services administratifs et des prestations de négociation de contrats et de communication, en contrepartie d’une rémunération annuelle, fixée à 3 % de leur chiffre d’affaires.

Au cours des exercices 2010 et 2011, afin de soutenir certaines de ses filiales qui rencontraient des difficultés financières, la société holding a renoncé à une partie de la facturation de cette rémunération, en émettant des avoirs à leur profit.

A l’issue d’une vérification de comptabilité, l’Administration a considéré que ces renonciations devaient s’analyser comme des abandons de créance à caractère financier, et a donc remis en cause leur déductibilité.

Devant le juge, la société holding contestait cette qualification, estimant que les aides ainsi consenties présentaient, en tout état de cause, un caractère commercial.

La décision de la CAA de Nantes

Devant la Cour, la société holding indiquait que les aides accordées à ses filiales avaient pour but de sécuriser son propre chiffre d’affaires et présentait plusieurs éléments de preuve pour justifier de leur caractère commercial :

  • Une attestation établie par un commissaire aux comptes, selon laquelle la quote-part de l’activité commerciale était, au titre des années litigieuses, de 69 % au titre des moyens et de 65 % au titre des recettes ;
  • Des tableaux réalisés par un cabinet d’expertise comptable, présentant une ventilation des différents services rendus par la holding, indiquant que les services commerciaux représentaient 63 % de ses charges (vs 37 % pour les services financiers).

La Cour considère toutefois que dans le cadre de cette analyse, la société holding avait limité ce qu’elle estimait être le secteur financier aux seules prestations de service à caractère financier.

Elle juge, au contraire, que doivent être rattachés à la catégorie des prestations financières tous les services administratifs qu’une holding rend habituellement à ses filiales, en tenant notamment compte des fonctions dites « support ».

Au cas d’espèce, elle relève que les seules prestations pouvant être regardées comme ayant un caractère commercial étaient celles relevant des postes « accords nationaux clients grands comptes » (désignant l’activité de négociation de contrats avec des grandes entreprises) ainsi que celles correspondant au poste « accord de communication et de sponsoring », lesquelles ne représentaient, en définitive, que 40 % des dépenses totales.

La Cour en conclut donc que les activités commerciales étant minoritaires par rapport à l’ensemble de l’activité de la holding, les avoirs litigieux consentis à ses filiales présentaient bien un caractère majoritairement financier.

Cette solution nous semble cohérente tant avec la doctrine administrative qu’avec la récente jurisprudence du Conseil d’Etat. Rappelons en effet que l’Administration indique, dans ses commentaires au BOFiP, que le fait qu’une société mère rende à ses filiales des services internes d’intérêt commun n’est pas, en principe, de nature à nouer des relations commerciales significatives (BOI-BIC-50-10, 23 janvier 2013, n°160). Pour autant, le Conseil d’Etat a pu juger que les prestations de référencement rendues par une société holding à ses filiales présentaient bien un caractère commercial (CE, 7 février 2018, n°398676, SARL France Frais).

En tout état de cause, la solution ici rendue par la CAA de Nantes – qui conserve toute sa pertinence sous l’empire de la loi nouvelle – confirme que, pour déterminer la finalité d’un abandon de créance, le juge se livre à une appréciation in concreto.

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.