À la suite des 4 décisions rendues par la CJUE le 28 juin 2018, la Commission européenne a déclaré, le 22 janvier 2020, le régime allemand de report des pertes fiscales en cas de redressement d’entreprises en difficulté (adopté dans un contexte de crise financière internationale) conforme à la réglementation applicable en matière d’Aides d’État.
Pour rappel, les principes de base en matière d’Aides d’État sont mentionnés aux articles 107 à 109 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Conformément à l’article 108, § 3, lorsqu’un EM envisage d’octroyer un dispositif susceptible d’être considéré comme une « Aide d’État », il doit, préalablement à sa mise en œuvre, notifier cette Aide à la Commission européenne. Une dispense de notification est cependant prévue pour les Aides de minimis n’excédant pas 200 k€ sur une période de 3 exercices fiscaux (Règlement (UE) 2015/1588). Si l’Aide d’État n’est pas notifiée à la Commission préalablement à sa mise en place, et est jugée incompatible, les entreprises qui en ont bénéficié sont susceptibles de devoir rembourser l’Aide ainsi obtenue.
Les dispositifs fiscaux peuvent notamment être qualifiés d’Aides d’État lorsque les 4 critères suivants sont remplis : une Aide accordée à une entreprise, par un EM au moyen de ressources publiques, procurant un avantage sélectif, et affectant les échanges entre EM et la concurrence.
Concernant la condition relative à la sélectivité de l’avantage, il résulte d’une jurisprudence constante de la CJUE (arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group., aff. 20/15 et 21/15) que cette condition doit être appréciée en déterminant si, dans le cadre d’un régime juridique donné, la mesure nationale en cause est de nature à favoriser certaines entreprises ou certaines productions par rapport à d’autres, qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par le régime en cause, dans une situation factuelle et juridique comparable et qui subissent ainsi un traitement différencié pouvant en substance être qualifié de discriminatoire. En d’autres termes, la Commission doit établir que cette mesure, qui prévoit un avantage de portée générale, bénéficie exclusivement à certaines entreprises ou à certains secteurs d’activité. Pour ce faire, la jurisprudence de la CJCE exige que la Commission procède à un raisonnement en 3 étapes :
- Identifier le régime fiscal commun ou « normal » applicable dans l’EM
- Démontrer que la mesure examinée déroge à ce régime commun dans la mesure où elle introduit des différenciations entre entreprises se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi par ce régime, dans une situation factuelle et juridique comparable
- L’EM concerné ne parvient pas à démontrer que la différenciation « résulte de la nature ou de l’économie du système dans lequel elle s’inscrit » – ce qui justifierait l’aide sélective accordée
La CJCE s’est prononcé le 22 janvier 2020 sur le régime du report des pertes fiscales en Allemagne.
En principe, le droit fiscal allemand permet le report des pertes d’un exercice fiscal sur les exercices ultérieurs. L’Allemagne a néanmoins veillé à introduire des dispositifs anti-abus à partir des années 1990 afin d’éviter l’acquisition de coquilles vides disposant de pertes reportables à des seules fins d’optimisation fiscale. Parmi ceux-ci figure la limitation du report des pertes en cas de changement de contrôle (« clause de mise en non-valeur des pertes »). Ainsi :
- En cas de cession de plus de 50 % du capital, des droits des associés, des droits de participation ou des droits de vote d’une société sur une période de 5 ans : absence de report des pertes
- En cas de cession entre 25 % et 50 % du capital des droits des associés, des droits de participation ou des droits de vote, d’une société sur une période de 5 ans : report des pertes limité au contre-pourcentage de celui correspondant au capital cédé
Dans le contexte de la crise financière de 2008, une exception à cette limitation du report des pertes en cas de changement de contrôle a été adoptée en 2009. Dans ce cadre, le report des pertes reste possible en cas d’acquisition d’une entité en difficulté en vue de procéder à son rétablissement (« clause d’assainissement »). Cette exception était soumise aux conditions supplémentaires suivantes :
- situation d’insolvabilité, surendettement ou menace de le devenir de l’entité à la date de son acquisition
- conservation de l’activité de l’entité (principalement par le maintien de l’emploi, un apport substantiel en capital d’exploitation ou une remise de dettes)
- absence de changement de secteur d’activité pendant 5 ans ; et
- absence de cessation d’activité de l’entité à la date de l’acquisition
La Commission Européenne a considéré en 2011 que cette « clause d’assainissement » était susceptible de conférer un avantage sélectif à certaines entreprises et a donc déclaré cette mesure dérogatoire constitutive d’une Aide d’État incompatible avec le marché intérieur (décision C 7/10 du 26 janvier 2011).
L’Allemagne, en soutien de 4 entreprises éligibles à cette mesure, avait contesté cette décision devant le Tribunal de l’UE, puis devant la CJUE. Cette dernière n’avait pas suivi la Commission et avait considéré que le régime fiscal commun (« cadre de référence ») à retenir pour apprécier la sélectivité de la mesure devait être examiné à la lumière de la règle de portée générale du report des pertes, applicable à l’ensemble des entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés et non, dans le cas précis, par rapport à la règle de limitation du report des pertes en cas de changement de contrôle (CJUE 28-6-2018 aff. 203/16 P, Dirk Andre ; aff. 208/16 P, République fédérale d’Allemagne ; aff. 209/16 P, République fédérale d’Allemagne ; aff. 219/16 P, Lowell Financial Services GmbH).
Le 22 janvier 2020, la Commission suit la position de la CJUE de 2018 et conclut que, la mesure en cause ne constituait pas une Aide d’État.
Cette affaire apporte ainsi des précisions sur la notion de régime fiscal « commun » à prendre en considération pour apprécier le caractère sélectif d’une Aide. En ce sens, le cadre législatif de référence semble devoir être entendu de manière large. Cependant, pour autant, sa détermination ne sera pas toujours aisée. Il faudra donc rester prudent dans l’analyse de cette étape dit du « cadre de référence ».
En cette période de crise sanitaire liée à l’épidémie de COVID-19, et des aides accordées par les EM pour soutenir leurs entreprises, le sujet des Aides d’État doit être scrupuleusement gardé à l’esprit et contrôlé par les intéressés (en considération du cadre spécifique temporaire adopté par la Commission européenne). Cette situation rend la décision d’autant plus intéressante.
Pour compléter ce sujet allemand, le 29 mars 2017, le Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle, Allemagne) a déclaré anticonstitutionnelle la limitation du report pertes en cas de changement de contrôle entre 25 % et 50 %. Le Bundestag allemand a ensuite abrogé (avec effet rétroactif au 21 décembre 2007) cette disposition. À ce stade, l’absence de report des pertes subsiste en cas de changement contrôle de plus de 50 % mais des contentieux sont en cours.