Délais spéciaux de reprise des articles L. 169 et L. 188 C du LPF : mode d’emploi

Le Conseil d’Etat rappelle les modalités de mise en œuvre du délai spécial de reprise de 10 ans prévu en cas d’omission ou d’insuffisance révélée par une procédure juridictionnelle, et apporte des précisions nouvelles sur l’application du délai de reprise étendu en cas de non-déclaration de comptes bancaires étrangers.

Rappel

Délai spécial de reprise en cas d’omission ou d’insuffisance révélée par une procédure juridictionnelle (LPF, art. L. 188 C)

Même si les délais de reprise de droit commun sont écoulés, les omissions ou insuffisances d’imposition révélées par une procédure judiciaire, par une procédure devant les juridictions administratives ou par une réclamation contentieuse, peuvent être réparées jusqu’à la fin de l’année suivant celle de la décision qui a clos l’instance et, au plus tard, jusqu’à la fin de la 10e année qui suit celle au cours de laquelle l’imposition est due (LPF, art. L. 188 C).

L’application de ce délai spécial est subordonnée à la condition que les omissions ou insuffisances d’imposition aient été « révélées » par l’instance ou la réclamation. Le Conseil d’État a déjà jugé que lorsque l’Administration dispose d’éléments suffisants lui permettant d’établir des omissions ou insuffisances d’imposition dans le délai normal de reprise, celles-ci ne peuvent pas être regardées comme révélées ultérieurement par une instance devant les tribunaux (CE, 29 avril 2009, n°299949, Aubry et 15 octobre 2015, n°364527). Il en est de même dans le cas où l’Administration a disposé de ces éléments après l’expiration du délai normal de reprise (CE, 23 décembre 2013, n°350967, Patenôtre).

Délai spécial de reprise en cas de non-déclaration de comptes bancaires étrangers (LPF, art. L. 169, al 5)

Le droit de reprise de l’Administration est susceptible de s’exercer jusqu’à la fin de la 10e année qui suit celle au titre de laquelle l’imposition est due, en cas de non-respect de l’obligation de déclaration des comptes bancaires à l’étranger, prévue à l’article 1649 A, al. 2 du CGI.

Précisons qu’avant le 1er janvier 2019, cette obligation de déclaration ne visait que les comptes actifs (comptes « ouverts, utilisés ou clos »). Désormais, cette obligation concerne également les comptes inactifs (comptes « détenus »).

L’histoire

Dans le cadre de l’affaire dite des « fichiers HSBC », le Procureur de la République a communiqué, en 2010, à l’administration fiscale des données concernant notamment un contribuable personne physique soupçonné de disposer en Suisse – directement ou via des sociétés étrangères – de nombreux comptes bancaires.

Sur avis conforme de la Commission des infractions fiscales, l’Administration a alors déposé une plainte contre ce contribuable en 2012, laquelle a conduit à l’ouverture, en 2015, d’une information judiciaire des chefs de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale.

L’Administration a exercé son droit de communication auprès des autorités judiciaires en 2016, et, par une proposition de rectification datée de 2017, entendu soumettre à la taxation d’office les revenus issus des avoirs non déclarés à l’étranger, au titre des années 2007 à 2010.

Le contribuable a alors soutenu que le délai de reprise de l’Administration était expiré lors de la notification de la proposition de rectification en 2017.

Le litige a été porté devant les juridictions, devant lesquelles l’Administration se prévalait tant du délai spécial de l’article L. 188 C (applicable en cas d’omission ou d’insuffisance révélée par une procédure juridictionnelle) que du délai spécial de l’article L. 169, al. 5 du LPF (en cas de défaut de déclaration des comptes bancaires étrangers).

La décision du Conseil d’Etat

Sur l’application du délai de l’article L. 188 C du LPF

Le Conseil d’Etat rappelle d’abord la règle bien établie selon laquelle, pour apprécier si l’Administration est fondée à se prévaloir du délai prévu à l’article L. 188 C du LPF, le juge doit rechercher, si elle disposait, avant l’ouverture de l’instance, dans le délai normal de reprise ou même après son expiration, d’éléments suffisants pour lui permettre, par la mise en œuvre des procédures d’investigation dont elle dispose, d’établir les insuffisances ou les omissions d’impositions.

Il relève qu’au cas d’espèce, les informations que l’Administration s’était fait communiquer, en 2016, dans le cadre de l’exercice de son droit de communication auprès de l’autorité judiciaire étaient « substantiellement identiques » à celles dont elle avait eu connaissance dès 2010, c’est-à-dire avant l’ouverture de toute procédure judiciaire.

Aussi écarte-t-il l’application du délai spécial de l’article L. 188 C du LPF.

Sur l’application du délai de l’article L. 169, al. 5 du LPF

Le Conseil d’Etat rappelle que l’obligation de déclaration des comptes bancaires utilisés à l’étranger concerne les comptes que le contribuable a utilisés, quel qu’en soit le titulaire, y compris notamment si ce titulaire est une société commerciale (CE, 8 mars 2023, n°463267, dont la portée a toutefois été tempérée par l’Administration dans le cadre d’une réponse ministérielle datée du 31 août 2023).

Au cas d’espèce, la difficulté tenait, ainsi que le souligne le rapporteur public dans ses conclusions, à l’absence « compte tenu notamment du défaut de coopération étrangère et des dénégations du contribuable » des relevés des comptes bancaires concernés au titre des années postérieures à 2008 et ainsi « de preuve positive irréfutable d’une utilisation effective au titre de ces années », de sorte que l’Administration ne pouvait pleinement bénéficier du délai étendu de 10 ans au titres des années 2007 à 2010.

Suivant son rapporteur public, le Conseil d’Etat se livre à une interprétation constructive des articles L. 169 du LPF et 1649 A du CGI.

Il juge ainsi que, lorsque l’Administration dispose d’éléments établissant l’utilisation de comptes non déclarés au titre d’une ou plusieurs années (en l’espèce, 2006 et 2007), alors leurs détenteurs sont présumés, sauf preuve contraire (production de relevés bancaires ou preuve de clôture desdits comptes), avoir continué de les utiliser les années suivantes et avoir ainsi méconnu, au titre de ces années, l’obligation déclarative prévue à l’article 1649 A du CGI.

Aussi l’Administration est-elle fondée à se prévaloir du délai spécial de reprise de 10 ans prévu par l’article L. 169 du LPF, aux fins d’imposer, le cas échéant, au titre de ces années, tant les transferts réalisés en provenance ou au bénéfice de ces comptes dissimulés, que les revenus issus des avoirs y figurant.

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.