L’ordonnance du 10 février 2016 a réformé les dispositions du Code civil de 1804 qui traitent des obligations conventionnelles et du contrat.
Annoncée triomphalement comme la première réforme d’ampleur du code amiral du droit français, le Code civil, ce texte faisait suite à plusieurs décennies de tergiversations doctrinales et politiques. Qui se souvient qu’une commission de réforme du Code civil fut installée … en 1945 ! Il fallut ensuite que deux professeurs émérites, engagés dans une course à l’influence, proposent chacun un projet pour le droit des contrats du futur pour que la Chancellerie tienne la plume et propose, enfin, le texte de l’ordonnance qui vient d’être ratifiée.
Personne ne s’en est ému particulièrement, mais le choix d’une réforme du Code civil, la « constitution civile » selon une des formules, pompeuse, du XIXe siècle, par ordonnance, est signifiant. Témoin du statut désormais de « support technique » du droit civil… alors que celui-ci est la source majeure de structuration des rapports sociaux et économiques. Signe également du peu d’intérêt porté à un débat en la matière, l’illusion d’une démarche gouvernementale décidée justifiant que l’on sacrifie l’adhésion de l’opinion et la diversité des vues ! Sans doute cela traduit-il simplement que le droit ennuie, et n’est pas considéré comme un sujet conséquent. C’est une erreur mais c’est notre époque.
Une des conséquences fut la tiédeur des nouvelles dispositions préparées dans les couloirs feutrés et hiérarchisés d’un ministère. Tiédeur complétée d’une vision « franco-française », qui ne s’intéressa pas, ou peu, aux réformes du droit des contrats d’ailleurs, même celles de nos proches voisins européens.
La loi de ratification aurait pu être l’occasion d’un rattrapage, avec des propositions novatrices, un élan dynamique, une ouverture plus grande liant dispositions du Code civil et efficacité économique, et évolutions sociales, et ouverture sur le monde. Bref un débat sérieux ! On a pu le croire lorsque les premières discussions ont laissé apparaître une réforme de la réforme ! Las, outre que les débats ont été d’un conservatisme étonnant, le parlement s’est vite fait rappeler à l’ordre, son assemblée nationale ramenant docilement les amendements dans le giron de l’ordonnance de 2016.
Il en résulte… un droit des contrats légèrement toiletté, suivant trois tendances.
- Une technicité croissante : les définitions pointillistes font une entrée massive dans le Code civil (voir les dispositions liminaires), et l’on observe des formulations pointues et précises. Si l’usage de définition s’inscrit dans la tradition du droit français, ce n’est pas le cas du pointillisme ni de la précision technique des textes du Code civil.
- Un recul de la liberté : sous couvert de modernisation, et de consécration de la jurisprudence constante (effort louable), il est difficile de ne pas remarquer le bridage croissant de la liberté contractuelle. Là même où le gouvernement-législateur semble « libéral », par exemple en matière d’emploi d’une monnaie étrangère ou de cession de dette, cela est un enfermement de la liberté préexistante par fixation de celle-ci dans un mécanisme juridique déterminé.
- Un moralisme bienpensant : il est d’époque. La bonne foi, érigée en principe général devant animer tout comportement contractuel en général, par exemple, ou encore l’interdiction de représenter à un acte juridique des parties ayant des intérêts en opposition. Comme toujours dans ce cas, nul ne contestera la noblesse de l’intention, mais le juriste, pragmatique et réaliste, s’interrogera sur le risque de contestation que cette exigence peut entraîner, avec à la clef une remise en cause de la sécurité juridique.
Le seul véritable casse-tête (tout relatif sans doute) est que l’on va trainer trois droits des contrats (dont deux forts similaires) : le droit applicable aux contrats conclus avant le 1er octobre 2016, le droit des contrats issu de l’ordonnance (et donc de nature réglementaire) applicable aux conventions nées entre le 1er octobre 2016 et le 31 septembre 2018, le droit des contrats ratifié (à valeur législative donc) qui s’appliquera aux contrats conclus après le 1er octobre 2018 ! Objectif de modernisation et de simplification disait-on…
Un souhait donc désormais : que les réformes à venir, de la responsabilité civile, du droit des biens et peut-être (encore) du droit des sûretés, s’autorisent plus d’innovation et de débats, et s’ancrent dans le monde d’aujourd’hui et de demain.
De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace !