Éligibilité au régime mère-fille des intérêts excédentaires d’un emprunt obligataire ?

Sans en admettre l’application positive au cas d’espèce, le TA de Strasbourg ne semble pas totalement exclure l’application du régime mère-fille aux intérêts excédentaires d’un emprunt obligataire, sur le fondement de la doctrine administrative.

Eléments de contexte

Une société peut déduire fiscalement les intérêts relatifs à des sommes mises à sa disposition par un de ses actionnaires dans la limite du taux fixé par le 3° du 1 de l’article 39 du CGI. Il peut toutefois être substitué à ce taux limite, pour les avances qui lui sont consenties par une entreprise liée la contrôlant, celui que l’entreprise emprunteuse aurait pu obtenir d’établissements financiers indépendants dans des conditions analogues, s’il est supérieur (CGI, art. 212, I-a).

Pendant de nombreuses années, l’Administration, comme les juridictions du fond, se sont montrées particulièrement exigeantes dans la démonstration du taux de marché applicable, avant que le Conseil d’État ne vienne finalement poser le principe de liberté de preuve et admettre qu’une société puisse, le cas échéant, s’appuyer sur des comparables issus du marché obligataire (avis n°429426 et 429428, SAS Wheelabrator).

Par ailleurs, l’Administration indique, de longue date, que si la fraction d’intérêts non admise en déduction en application de ces dispositions est définitivement perdue, il est toutefois admis « que le régime fiscal des sociétés mères soit applicable à la fraction d’intérêts non déductibles en application du I de l’article 212 du CGI versée à une société mère » (BOI-IS-BASE-35-20, § 90 depuis le 31 juillet 2019 – auparavant, BOI-IS-BASE-35-10, § 120).

En revanche, elle précise expressément que les « produits des obligations » sont exclus de ce régime (BOI-IS-BASE-10-10-20, 26 juin 2024, § 50).

Le TA de Paris a, lui, récemment jugé de manière dénuée de toute ambiguïté que « les intérêts d’un emprunt obligataire, qui ne procèdent pas des droits attachés aux participations de la société mère dans sa filiale, ne peuvent pas être regardés comme des produits de participation au sens des dispositions de l’article 216, I du CGI (…) même lorsqu’ils sont versés à la société mère et qu’ils ne peuvent être admis en déduction des bénéfices de la filiale en vertu des dispositions de l’article 39,1-3° du même Code » (TA Paris, 10 mai 2023, n°1915524, SAS CEE Parc Solaire Esparron 1, décision non frappée d’appel).

L’histoire

En 2013, une société a émis un emprunt obligataire, souscrit par sa société mère tête de l’intégration fiscale à laquelle la société appartenait.

A l’issue d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices 2016 à 2020, l’Administration a partiellement remis en cause la déduction des intérêts versés par la société à sa mère, considérant que le taux retenu [12 %] excédait nettement celui résultant de l’application des dispositions de l’article 39,1,3° du CGI.

Elle a en conséquence réintégré, dans les bénéfices de la société, la somme correspondant à la fraction excédentaire des intérêts ne pouvant être déduits.

Devant le TA de Strasbourg, la société mère intégrante ne contestait pas le taux retenu par l’Administration, mais sollicitait l’application du régime mère-fille au titre des intérêts excédentaires perçus de sa filiale, sur le fondement de la doctrine administrative précitée.

La décision du TA de Strasbourg

Contrairement au TA de Paris dans sa décision de mai 2023 précitée, le TA de Strasbourg ne se prononce pas sur le terrain de la loi fiscale sur le point de savoir si les intérêts excédentaires d’un emprunt obligataire sont ou non susceptibles de bénéficier du régime mère-fille, mais seulement sur le terrain de l’invocabilité de la doctrine administrative.

Il refuse, à cet égard, de faire droit à la demande de la requérante, en se fondant sur les éléments suivants :

Absence d’invocabilité de l’article L. 80 A, al. 1 du LPF qui nécessite l’existence d’un rehaussement :

Au cas d’espèce, la requérante avait déclaré un déficit au titre des années en litige, de sorte que les impositions mises en recouvrement en conséquence du redressement constituaient des impositions primitives, et non des rehaussements d’impositions antérieures au sens de l’article L. 80 A, al. 1 du LPF (dans le même sens, CE, 20 juillet 1971, n°75475).

Absence d’invocabilité de l’article L. 80 A, al. 3 du LPF, protégeant le contribuable qui a « appliqué » un texte fiscal selon l’interprétation donnée par l’Administration à la date des opérations en cause :

La société mère requérante n’avait pas appliqué, dans ses déclarations d’IS souscrites au titre des exercices considérés, le régime mère-fille à la fraction excédentaire des intérêts obligataires conformément à la doctrine administrative dont elle entendait bénéficier.

La position des juges d’appel, s’ils sont saisis dans cette affaire, sera bienvenue.

  • TA de Strasbourg, 31 mars 2025, n°2306610, Société HGFI Saint Martin
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Alice de Massiac

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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.