Cet article a été publié dans les Éditions JFA Juristes & Fiscalistes Associés – février 2024 et est reproduit sur ce blog avec l’accord de l’éditeur.
L’administration fiscale met à jour son Guide des prix de transfert à l’usage des PME, ajoutant des développements sur des points jusqu’à présent non encore commentés et apportant des précisions complémentaires sur des éléments déjà développés. Dans le prolongement de cette mise à jour, des précisions doctrinales sont apportées au BOFiP sur les principes de détermination des prix de transfert, concernant spécialement : la notion de groupe, et l’existence de liens de dépendance entre les différentes entreprises qui le composent (§ 15), les particularités des services intragroupes et des mises à disposition d’actifs incorporels (§ 210), les spécificités des actifs incorporels difficiles à valoriser (§ 232), les transactions financières entre entreprises associées (§ 234 à 237).
- Guide des prix de transfert à l’usage des PME, 2023. – BOI-BIC-BASE-80-10-10, 22 nov. 2023. – BOFiP, actualité, 22 nov. 2023
Cette mise à jour du Guide des prix de transfert à l’usage des PME (ci-après « le guide »), parue après la proposition de directive sur les prix de transfert présentée dans le numéro précédent1 et en amont de la loi de finances pour 2024 (V. § 24 et 34), ajoute des précisions complémentaires sur les principes de détermination des prix de transfert.
L’objectif de la DGFiP est que ce guide permette aux entreprises de fixer de manière pertinente les prix de transfert les plus justes et de constituer une documentation pour justifier de la normalité des rémunérations intragroupes. En conséquence, la DGFiP a mis à jour de manière concomitante le BOFiP et le Guide.
À destination des petites et moyennes entreprises, le guide a vocation à illustrer par des exemples les principes et les moyens de contrôle de l’administration fiscale en matière de prix de transfert. Les commentaires publiés au BOFiP reproduisent ainsi ces règles et renvoient aux exemples du guide.
Pour rappel, le Guide des prix de transfert à l’usage des PME, disponible en ligne sur www.impots.gouv.fr, a été publié à l’origine en 2006 puis actualisé à plusieurs reprises, la dernière mise à jour datant du 18 février 2014. Il n’avait ainsi pas été ajusté alors que les principes OCDE ont été mis à jour en 2017 puis en 2022. De surcroît, plusieurs jurisprudences en matière de prix de transfert sont venues compléter le cadre de détermination des prix de transfert depuis 2014, de même que de nouveaux textes nationaux et européens. Cette mise à jour est donc bienvenue, d’autant que ces commentaires doctrinaux sont d’application immédiate et peuvent déjà valablement servir de référence pour l’administration comme pour les contribuables. Ainsi, bien que le guide ne soit pas opposable aux contribuables, cette mise à jour de ce dernier en même temps que les commentaires au BOFiP permet d’opposer ces derniers à la DGFiP, commentaires qui ne visent au demeurant pas uniquement les PME. L’édition 2023 du guide et le BOFiP actualisé comportent ainsi des développements sur des points jusqu’à présent non encore commentés par l’administration (a) et des précisions complémentaires sur des éléments déjà développés (b).
A. Développements nouveaux sur des points jusqu’à présent non encore commentés
Précisions inédites sur les actifs incorporels difficiles à valoriser
Le guide et les commentaires consacrent un paragraphe aux spécificités des actifs incorporels difficiles à valoriser (AIDV). Ainsi, l’administration fiscale les définit comme des incorporels pour lesquels, au moment de leur transfert entre entreprises liées, il n’existe pas de transactions ou comparables fiables et les prévisions de flux de trésorerie ou de revenus futurs ou la possibilité d’utiliser l’actif incorporel sont très incertaines, rendant difficile la prévision de rentabilité finale et sa valorisation au moment du transfert.
Ces commentaires de l’administration instaurent une présomption de transfert applicable dès lors que les résultats réels intervenus postérieurement à la date de transfert de l’AIDV (« les éléments ex post ») diffèrent significativement des prévisions (« les éléments ex ante »), en application des principes OCDE. Le contribuable peut cependant combattre cette présomption de transfert de bénéfices en apportant les éléments suivants :
- la fiabilité des informations utilisées à l’appui de la méthode de calcul adoptée lors de la réalisation de la transaction ;
- l’écart entre les projections et les résultats réels ne peut être attribué qu’à la survenance d’événements impossibles à anticiper.
L’oeil de la pratique
La définition des AIDV retenue dans le guide et les commentaires au BOFiP par l’administration fiscale, en faisant référence à la prévision de rentabilité finale, diffère de la définition donnée dans le CGI2 pour la transposition de la directive DAC 63 et le nouveau dispositif instauré par la loi de finances pour 2024 (V. § 34), qui s’appuie sur la notion de « succès au moment du transfert ». L’approche de l’administration est ainsi plus large et s’éloigne des principes OCDE, ce que l’on ne peut que regretter car ces commentaires ne permettent pas de clarifier la situation des contribuables, contrairement à l’objectif premier du guide.
Enfin, les principes de l’OCDE, tout comme l’article 238 bis-0 I ter du CGI issu de la loi de finances pour 2024, indiquent clairement que les éventuelles rectifications peuvent être réalisées sur la base de résultats postérieurs à l’exercice au cours duquel a eu lieu la transaction, tandis que la nouvelle version du BOFiP se limite à indiquer que « les administrations fiscales pourront contrôler le prix de cession et le remettre en cause le cas échéant ». Là aussi, la discordance est regrettable.
Nouveaux commentaires sur les transactions financières entre entreprises associées
Le guide et les commentaires précisent que les transactions financières entre entreprises associées (prêts intragroupe, accords de gestion centralisée de la trésorerie, opérations de couverture, garanties et compagnies d’assurance dites captives, etc.) doivent être également conformes au principe de pleine concurrence. Il s’intéresse particulièrement aux transactions financières suivantes :
- les prêts intragroupes ;
- les accords de gestions centralisée de la trésorerie ; et
- les garanties.
Ces précisions sont inédites et nécessaires, dès lors que les transactions financières ont été traitées par les principes OCDE lors de leur mise à jour de 2017.
B. Enrichissement des règles commentées dans le Guide et dans les commentaires au BOFiP
La notion de groupe est explicitée
L’administration ajoute dans sa doctrine que la notion de groupe suppose l’existence de liens de dépendance entre les différentes entreprises qui le composent. Deux entreprises sont dépendantes, et donc appartiennent à un même groupe, si l’une d’elles participe directement ou indirectement à la direction, au contrôle ou au capital de l’autre ou si les deux entreprises sont détenues ou sont sous l’influence d’une même entreprise ou d’un même groupe.
S’agissant de la dépendance de droit, le guide rappelle que la détention de la majorité du capital à plus de 50 % suffit à caractériser la dépendance.
L’oeil de la pratique
Ce rappel intervient alors que la proposition de directive sur les prix de transfert publiée le 12 septembre 2023 prévoit un abaissement du seuil de détention à 25 %.
S’agissant de la dépendance de fait, le guide cite des exemples permettant de la définir : – une entreprise française liée par un contrat avec une entreprise étrangère qui lui impose le prix des produits vendus ;
- deux entreprises, française et étrangère, qui portent le même nom et utilisent les mêmes ressources pour démarcher des clients (par exemple, un bureau de représentants commerciaux) mais qui vendent leurs produits/services sur leurs marchés géographiques respectifs ;
- une entreprise qui fabrique en France des biens sous une marque détenue par un résident étranger sans contrat de licence alors que l’entreprise étrangère achète la totalité de la production de l’entreprise française et intervient dans la gestion et dans la commercialisation en France des produits vendus à des clients indépendants.
L’oeil de la pratique
Ces exemples peuvent surprendre à plusieurs égards, en particulier parce que ces situations semblent éloignées de celles du marché libre sans y faire référence, de même qu’elles ne renvoient pas à la jurisprudence qui s’est pourtant prononcée sur certaines de ces situations. Il sera donc intéressant d’observer la manière dont l’administration fiscale compte utiliser ces exemples lors des procédures de vérification.
Enfin, le guide rappelle que, lors d’un contrôle, la dépendance est présumée établie lorsque la transaction concerne une entreprise française et une entreprise étrangère établie dans un pays bénéficiant d’un régime fiscal privilégié ou dans un État ou territoire non coopératif.
Facteurs externes à prendre en compte dans l’analyse fonctionnelle
L’administration fiscale précise que, « dans le principe », lorsqu’un producteur étranger a confié la distribution exclusive de sa production à sa filiale française et décide de conquérir un nouveau marché en visant un autre type de clientèle, l’entreprise française ne doit pas supporter seule cette stratégie de développement financièrement coûteuse.
L’oeil de la pratique
L’ajout de la mention « dans le principe » est clé et semble autoriser une marge d’appréciation à celui qui supporte la charge relative aux coûts de pénétration d’un nouveau marché. Cette précision, attendue par les praticiens, viendrait ainsi nuancer l’arrêt de renvoi de la CAA de Paris du 30 juin 2022 dans l’affaire Ferragamo4, selon lequel des charges d’exploitation, dès lors qu’elles participent à des résultats déficitaires alors qu’elles conduisent à valoriser une marque étrangère, constituent un transfert de profits à l’étranger au sens de l’article 57 du CGI.
De nouvelles remarques sur les méthodes de prix de transfert
Le guide et les commentaires ajoutent des remarques utiles pour aider l’entreprise dans le choix de la méthode de prix de transfert applicable à sa situation, ou pour la préparation de sa défense si la méthode retenue par le service vérificateur n’est pas compatible avec ces nouvelles remarques.
Selon l’administration, la méthode du prix comparable sur le marché libre serait la méthode à préférer, particulièrement adaptée aux entreprises qui commercialisent des marchandises couramment vendues sur le marché. La hiérarchie des méthodes a pourtant été supprimée lors de la mise à jour des principes OCDE en 2017. Il est donc intéressant de noter que l’administration consacre néanmoins cette méthode comme celle à privilégier.
Par ailleurs, la méthode de prix de revente est présentée comme particulièrement adaptée pour les opérations de commercialisation lorsque le distributeur n’est pas « l’entrepreneur principal ». Cette référence à la notion d’entrepreneur principal est surprenante puisque ce concept n’existe ni en droit français ni dans les principes de l’OCDE. Le Conseil d’État a également nuancé la pertinence des notions d’entité routinière et d’entrepreneur principal pour démontrer l’existence d’un transfert indirect de bénéfices, dès lors qu’elles peuvent présenter « un risque de simplification excessive des données de l’espèce », selon les termes du rapporteur public Karin Ciavaldini5.
L’oeil de la pratique
L’administration fiscale n’a pas modifié sa doctrine sur la notion d’entrepreneur principal à l’occasion de cette mise à jour du guide, ce qui apparaissait pourtant nécessaire au vu tant de la jurisprudence du Conseil d’État que dans les commentaires OCDE.
Enfin, le guide et les commentaires au BOFiP apportent des précisions appréciables sur la méthode du partage des bénéfices, de plus en plus utilisée par l’administration à l’occasion de ses rectifications de prix de transfert. Les conditions posées par les principes OCDE sont ainsi reprises afin de déterminer l’application de la méthode du partage des bénéfices, en indiquant qu’elle « est particulièrement adaptée lorsque les parties à la transaction apportent des contributions uniques et à forte valeur ajoutée (par exemple des actifs incorporels répondant à ces deux caractéristiques) ; et/ou en présence d’opérations fortement intégrées de telle sorte qu’il est difficile d’évaluer de manière fiable la contribution de chaque partie isolément ; et/ou en cas de prise en charge conjointe de risques économiques significatifs ou de prise en charge séparée des risques étroitement liés ».
Il est également précisé que des transactions, suffisamment comparables, sans être identiques à la transaction contrôlée, peuvent en effet conduire à des résultats plus fiables que l’utilisation inappropriée de la méthode de partage des bénéfices. Cette mention permet d’éviter l’application systématique de cette méthode en l’absence de comparables « parfaits ».
L’oeil de la pratique
Cette méthode du partage des bénéfices est bien l’une des méthodes recommandées par l’OCDE. Le lecteur sera néanmoins surpris de la voir présentée avec autant de détails dans le guide à l’usage des PME, alors que sa nature plus complexe la destine davantage aux groupes de taille plus importante, et qu’ainsi qu’indiqué plus haut (V. § 19), le guide lui-même privilégie la méthode du prix comparable sur le marché libre.
Ajout de la notion d’intérêt de la société pour considérer un service intragroupe comme conforme au principe de pleine concurrence
Les commentaires développés par l’administration sur les services intragroupes sont complétés de précisions portant sur la déductibilité des services intragroupe. Il est ainsi indiqué que la charge est déductible et ne constitue pas un acte anormal de gestion si le service rendu répond à un besoin réel de la société bénéficiaire et si la prestation rendue ne fait pas double emploi avec les services déjà assumés par la filiale (en interne par elle-même ou en ayant recours à des tiers).
Pour être considéré comme un service intragroupe déductible car conforme au principe de pleine concurrence, la prestation rendue doit présenter pour la société un intérêt économique ou commercial permettant de renforcer ou de conserver sa position commerciale. Il convient en effet de se demander si, dans des circonstances comparables, une entreprise indépendante aurait été disposée à payer une autre entreprise indépendante pour exécuter cette activité ou si elle l’aurait exécutée elle-même en interne.
Clarification sur le rôle de la médiane dans l’intervalle interquartile
L’administration s’appuie sur la jurisprudence GE Medical du Conseil d’État6 et anticipe sur la proposition de directive européenne sur les prix de transfert en indiquant qu’« en l’absence d’éléments permettant de sélectionner un point particulier de l’intervalle de pleine concurrence » comme étant le plus approprié, « il est d’usage » de considérer la médiane comme la rémunération de pleine concurrence vers laquelle doit tendre l’entreprise à l’occasion de ses transactions intragroupe.
L’oeil de la pratique
Le choix du calendrier de publication de cette actualisation du guide et des commentaires au BOFiP par l’administration fiscale peut interroger. Cette nouvelle édition a en effet été publiée avant la loi de finances pour 2024, qui prévoit de nombreuses modifications en matière de prix de transfert et dont la discussion était déjà entamée. La proposition de directive européenne sur les prix de transfert, publiée avant cette mise à jour, n’a en revanche, naturellement, pas conduit la DGFiP à modifier ses positions à ce stade (ce qui peut sembler protecteur s’agissant par exemple de la définition du lien de dépendance dont le seuil demeure à plus de 50 % du capital).
Finalement, même si cette mise à jour était nécessaire puisque l’édition précédente était ancienne, les développements récents en matière de prix de transfert contraindront la DGFiP à de nouvelles mises à jour sans tarder afin d’incorporer ces dernières nouveautés. Le fiscaliste aguerri n’en sera pas surpris outre mesure…
1 Proposition de directive n° 2023/0322, 12 sept. 2023 : FI 4-2023, n° 4, § 7.
2 CGI, art. 1649 AH, II, E, 2°, b).
3 Dir. 2018/822, 25 mai 2018 relative à l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration, dite « DAC 6 ».
4 CAA Paris, 30 juin 2022, n° 20PA03601, Min. c/ Sté Ferragamo France : FI 4-2022, n° 4, § 9, comm. P. Escaut.
5 CE, 4 oct. 2021, n° 443130, Sté RKS, concl. K. Ciavaldini : Lebon T. ; FI 1-2022, n° 4, § 20 ; RJF 12/21 n° 1094.
6 CE, 6 juin 2018, n° 409645, SCS General Electric Medical Systems : Lebon T. ; RJF 8-9/18 n° 833, concl. R. Victor C 833.