Impossibilité pour l’Administration de se prononcer sur le caractère (ir)réaliste d’une clause de retour à meilleure fortune

La CAA de Douai juge qu’il n’appartient pas à l’Administration de se prononcer sur le caractère (ir)réaliste d’une clause de retour à meilleure fortune attachée à un abandon de créance.

Rappel

Pour mémoire, pour les exercices clos depuis le 4 juillet 2012, les aides consenties à une autre entreprise qui ne présentent pas un caractère commercial ne sont pas déductibles, sauf à être accordées à une entreprise en difficulté financière soumise à une procédure collective ou de liquidation (2e LFR 2012, art. 14).

On considère généralement que présente un caractère commercial un abandon de créance qui trouve son origine dans des relations commerciales et qui est consenti soit pour maintenir des débouchés, soit pour préserver des sources d’approvisionnement. Un abandon de créance est financier lorsque les motivations de l’abandon sont strictement financières et que les liens existants entre les deux entreprises sont exclusifs de toutes relations commerciales (BOI-BIC-BASE-50-10, n°120).

En outre, pour être déductible, l’abandon de créance doit relever d’une gestion normale, c’est-à-dire qu’il doit être consenti dans l’intérêt de l’exploitation et trouver son fondement dans l’existence d’une contrepartie réelle et suffisante (BOI-BIC-BASE-50-10 n°80).

L’histoire

Une société ayant une activité de holding mixte donne en location, à sa filiale qu’elle détient à 99,98%, des locaux commerciaux.

En 2014, cette société accorde à sa filiale, qui rencontre des difficultés financières, un abandon de loyer, assorti d’une clause de retour à meilleure fortune.

L’Administration a remis en cause la déductibilité de cet abandon de créance au double motif que cette aide présentait la nature d’une aide financière et qu’elle procédait d’un acte anormal de gestion, compte tenu du caractère « irréaliste » de la clause de retour à meilleure fortune.

La décision de la CAA de Douai

La CAA de Douai vient invalider le redressement de l’Administration sur ces 2 points, en jugeant d’abord que l’aide litigieuse présente, en réalité, un caractère commercial, puis en remettant en cause l’appréciation portée par l’Administration sur l’ampleur du risque pris par la société.

Qualification de la nature de l’aide litigieuse

La Cour relève en premier lieu que la société ayant consenti l’abandon de loyer est une société commerciale, qui a une activité de holding mixte et loue à sa filiale des locaux pour l’exercice par cette dernière de son activité industrielle et commerciale.

En outre, la location des locaux en cause constitue l’essentiel de l’activité de la holding.

Elle en conclut que la relation entre les 2 sociétés est une relation commerciale – de sorte que l’aide octroyée revêt elle-même cette qualité (peu, important, à cet égard, qu’elle ait été comptabilisée en « charge exceptionnelle »).

Remise en cause de l’appréciation portée par l’Administration sur l’ampleur du risque pris par la société

La CAA rappelle que c’est au regard du seul intérêt propre de l’entreprise que l’Administration doit apprécier si des opérations correspondent à des actes relevant d’une gestion commerciale normale. En particulier, il ne lui appartient pas de se prononcer sur l’opportunité des choix de gestion opérés par l’entreprise, et notamment pas sur l’ampleur des risques pris par elle pour améliorer ses résultats.

On observera que la Cour reprend ici le considérant retenu par le Conseil d’État dans sa décision SA Monte Paschi Banque (13 juillet 2016, n°375801), par laquelle il avait définitivement sonné le glas de la théorie du « risque excessif ».

Pour mémoire, la théorie du risque excessif permettait à l’Administration de remettre en cause, sur le terrain de l’acte anormal de gestion, une opération qui, bien que de prime abord conforme à l’intérêt de l’entreprise, traduisait la prise d’un risque manifestement excessif. Le juge de l’impôt l’avait toujours cependant cantonnée à des circonstances exceptionnelles, avant d’y renoncer en 2016.

La Cour juge donc qu’il n’appartenait pas à l’Administration de se prononcer sur le caractère réaliste ou non de la clause de retour à meilleure fortune, et relève qu’au cas d’espèce, il était bien dans l’intérêt de la société d’accorder l’abandon litigieux. A défaut et compte-tenu de la spécificité des locaux, il lui aurait sans doute été difficile de retrouver rapidement un nouveau preneur pour les occuper.

Elle écarte donc l’existence d’un acte anormal de gestion.

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.